moitié sauvage ; leur chevelure aux longues boucles, conservée contre l’usage arabe, flottait au balancement de leur tête, coiffée non du tarbouch, mais d’un bonnet de forme antique, pareil au pétase romain ; leur psalmodie bourdonnante prenait par instants un accent dramatique ; les vers se répondaient évidemment, et la pantomime s’adressait avec tendresse et plainte à je ne sais quel objet d’amour inconnu. Peut-être était-ce ainsi que les anciens prêtres de l’Égypte célébraient les mystères d’Osiris retrouvé ou perdu ; telles sans doute étaient les plaintes des corybantes ou des cabires, et ce chœur étrange de derviches hurlant et frappant la terre en cadence obéissait peut-être encore à cette vieille tradition de ravissements et d’extases qui jadis résonnait sur tout ce rivage oriental, depuis les oasis d’Ammon jusqu’à la froide Samothrace. À les entendre seulement, je sentais mes yeux pleins de larmes, et l’enthousiasme gagnait peu à peu tous les assistants.
M. Jean, vieux sceptique de l’armée républicaine, ne partageait pas cette émotion ; il trouvait cela fort ridicule, et m’assura que les musulmans eux-mêmes prenaient ces derviches en pitié.
— C’est le bas peuple qui les encourage, me disait-il ; autrement, rien n’est moins conforme au mahométisme véritable, et même, dans toute supposition, ce qu’ils chantent n’a pas de sens.
Je le priai néanmoins de m’en donner l’explication.
— Ce n’est rien, me dit-il ; ce sont des chansons amoureuses qu’ils débitent on ne sait à quel propos ; j’en connais plusieurs en voici une qu’ils ont chantée :
« Mon cœur est troublé par l’amour ; — ma paupière ne se ferme plus ! — Mes yeux reverront-ils jamais le bien-aimé ?
» Dans l’épuisement des tristes nuits, l’absence fait mourir l’espoir ; — mes larmes roulent comme des perles, — et mon cœur est embrasé !
» O colombe, dis-moi — pourquoi tu te lamentes ainsi ; — l’absence te fait-elle aussi gémir — ou tes ailes manquent-elles d’espace ?