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LES FEMMES DU CAIRE.

trer sans voile leur visage tatoué de bleu et de rouge et leur nez percé de lourds anneaux.

Nous nous mêlâmes, le peintre et moi, à la foule variée qui suivait le Mahmil, criant : « Allah ! » comme les autres aux diverses stations des chameaux sacrés, lesquels, balançant majestueusement leur tête parée, semblaient ainsi bénir la foule avec leur long col recourbé et leurs hennissements étranges. À l’entrée de la ville, les salves de canon recommencèrent, et l’on prit le chemin de la citadelle à travers les rues, pendant que la caravane continuait d’emplir le Caire de ses trente mille fidèles, qui avaient le droit désormais de prendre le titre d’hadjis.

On ne tarda pas à gagner les grands bazars et cette immense rue Salahieh, où les mosquées d’Ël-Hazar, d’El-Moyed et du Moristan étalent leurs merveilles d’architecture et lancent au ciel des gerbes de minarets entremêlés de coupoles. À mesure que l’on passait devant chaque mosquée, le cortège s’amoindrissait d’une partie des pèlerins, et des montagnes de babouches se formaient aux portes, chacun n’entrant que les pieds nus. Cependant le Mahmil ne s’arrêtait pas ; il s’engagea dans les rues étroites qui montent à la citadelle, et y entra par la porte du Nord, au milieu des troupes rassemblées et aux acclamations du peuple réuni sur la place de Roumelieh. Ne pouvant pénétrer dans l’enceinte du palais de Méhémet-Ali, palais neuf, bâti à la turque et d’un assez médiocre effet, je me rendis sur la terrasse, d’où l’on domine tout le Caire. On ne peut rendre que faiblement l’effet de cette perspective, l’une des plus belles du monde ; ce qui surtout saisit l’œil sur le premier plan, c’est l’immense développement de la mosquée du sultan Hassan, rayée et bariolée de rouge, et qui conserve encore les traces de la mitraille française depuis la fameuse révolte du Caire. La ville occupe devant vous tout l’horizon, qui se termine aux verts ombrages de Choubrah ; à droite, c’est toujours la longue cité des tombeaux musulmans, la campagne d’Héliopolis et la vaste plaine du désert arabique, interrompue par la chaîne du Mokatam ; à gauche, le cours du Nil aux