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VOYAGE EN ORIENT.

eaux rougeâtres, avec sa maigre bordure de dattiers et de sycomores ; Boulaq au bord du fleuve, servant de port au Caire, qui en est éloigné d’une demi-lieue ; l’ile de Roddah, verte et fleurie, cultivée en jardin anglais et terminée par le bâtiment du Nilomètre, en face des riantes maisons de campagne de Gizèh ; au delà, enfin, les pyramides, posées sur les derniers versants de la chaîne libyque, et, vers le sud encore, à Saccarah, d’autres pyramides entremêlées d’hypogées ; plus loin, la forêt de palmiers qui couvre les ruines de Memphis, et, sur la rive opposée du fleuve, en revenant vers la ville, le vieux Caire, bâti par Amrou à la place de l’ancienne Babylone d’Égypte, à moitié caché par les arches d’un immense aqueduc, au pied duquel s’ouvre le Calish, qui côtoie la plaine des tombeaux de Karafeh.

Voilà l’immense panorama qu’animait l’aspect d’un peuple en fête fourmillant sur les places et parmi les campagnes voisines. Mais déjà la nuit était proche, et le soleil avait plongé son front dans les sables de ce long ravin du désert d’Ammon que les Arabes appellent mer sans eau ; on ne distinguait plus au loin que le cours du Nil, où des milliers de canges traçaient des réseaux argentés comme aux fêtes des Ptolémées. Il faut redescendre, il faut détourner ses regards de cette antiquité muette dont un sphinx, à demi disparu dans les sables, garde les secrets éternels ; voyons si les splendeurs et les croyances de l’islam repeupleront suffisamment la double solitude du désert et des tombes, ou s’il faut pleurer encore sur un poétique passé qui s’en va. Ce moyen âge arabe, en retard de trois siècles, est-il prêt à crouler à son tour, comme a fait l’antiquité grecque, au pied insoucieux des monuments de Pharaon ? Hélas ! en me retournant, j’apercevais au-dessus de ma tête les dernières colonnes rouges du vieux palais de Saladin. Sur les débris de cette architecture éblouissante de hardiesse et de grâce, mais frêle et passagère, comme celle des génies, on a bâti récemment une construction carrée, toute de marbre et d’albâtre, du reste sans élégance et sans caractère, qui a l’air