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VOYAGE EN ORIENT.

On sait à quel point le bon Yorick, inconnu, inquiet, perdu dans le grand tumulte de la vie parisienne, fut ravi de trouver accueil chez une aimable et complaisante gantière ; mais combien une telle rencontre n’est-elle pas plus utile encore dans une ville d’Orient !

Madame Bonhomme accepta avec toute la grâce et toute la patience possibles le rôle d’interprète entre l’esclave et moi. Il y avait du monde dans la salle de lecture, de sorte qu’elle nous fit entrer dans un magasin d’articles de toilette et d’assortiment, qui était joint à la librairie. Au quartier franc, tout commerçant vend de tout. Pendant que l’esclave, étonnée, examinait avec ravissement les merveilles du luxe européen, j’expliquais ma position à madame Bonhomme, qui, du reste, avait elle-même une esclave noire à laquelle, de temps en temps, je l’entendais donner des ordres en arabe.

Mon récit l’intéressa ; je la priai de demander à l’esclave si elle était contente de m’appartenir.

Aioua ! répondit celle-ci.

À cette réponse affirmative, elle ajouta qu’elle serait bien contente d’être vêtue comme une Européenne. Cette prétention fit sourire madame Bonhomme, qui alla chercher un bonnet de tulle à rubans et le lui ajusta sur la tête. Je dois avouer que cela ne lui allait pas très-bien ; la blancheur du bonnet lui donnait l’air malade.

— Mon enfant, lui dit madame Bonhomme, il faut rester comme tu es ; le tarbouch te sied beaucoup mieux.

Et, comme l’esclave renonçait au bonnet avec peine, elle lui alla chercher un tatikos de femme grecque festonné d’or, qui, cette fois, était du meilleur effet. Je vis bien qu’il y avait là une légère intention de pousser à la vente ; mais le prix était modéré, malgré l’exquise délicatesse du travail.

Certain désormais d’une double bienveillance, je me fis raconter en détail les aventures de cette pauvre fille. Cela ressemblait à toutes les histoires d’esclaves possibles, à l’Andrienne de Térence, à mademoiselle Aïssé… Il est bien entendu que je