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LES FEMMES DU CAIRE.

ne me flattais pas d’obtenir la vérité complète. Issue de nobles parents, enlevée toute petite au bord de la mer, chose qui serait invraisemblable aujourd’hui dans la Méditerranée, mais qui reste probable au point de vue des mers du Sud. Et, d’ailleurs, d’où serait-elle venue ? Il n’y avait pas à douter de son origine malaise. Les sujets de l’empire ottoman ne peuvent être vendus sous aucun prétexte. Tout ce qui n’est pas blanc ou noir, en fait d’esclaves, ne peut donc appartenir qu’à l’Abyssinie ou à l’archipel indien.

Elle avait été vendue à un cheik très-vieux du territoire de la Mecque. Ce cheik étant mort, des marchands de la caravane l’avaient emmenée et exposée en vente au Caire.

Tout cela était fort naturel, et je fus heureux de croire, en effet, qu’elle n’avait pas eu d’autre possesseur avant moi que ce vénérable cheik glacé par l’âge.

— Elle a bien dix-huit ans, me dit madame Bonhomme ; mais elle est très-forte, et vous l’auriez payée plus cher, si elle n’était pas d’une race qu’on voit rarement ici. Les Turcs sont gens d’habitude, il leur faut des Abyssiniennes ou des noires ; soyez sûr qu’on l’a promenée de ville en ville sans pouvoir s’en défaire.

— Eh bien, dis-je, c’est donc que le sort voulait que je passasse par là. Il m’était réservé d’influer sur sa bonne ou sa mauvaise fortune.

Cette manière de voir, en rapport avec la fatalité orientale, fut transmise à l’esclave, et me valut son assentiment.

Je lui fis demander pourquoi elle n’avait pas voulu manger le matin et si elle était de la religion hindoue.

— Non, elle est musulmane, me dit madame Bonhomme après lui avoir parlé ; elle n’a pas mangé aujourd’hui, parce que c’est jour de jeûne jusqu’au coucher du soleil.

Je regrettai qu’elle n’appartint pas au culte brahmanique, pour lequel j’ai toujours eu un faible ; quant au langage, elle s’exprimait dans l’arabe le plus pur, et n’avait conservé de sa langue primitive que le souvenir de quelques chansons ou pantouns que je me promis de lui faire répéter.