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VOYAGE EN ORIENT.

pour agir comme le supposent les chrétiens, leurs épouses légitimes demanderaient aussitôt le divorce, et les esclaves elles-mêmes auraient le droit de les quitter.

— Voyez, dis-je au consul quelle est encore l’erreur de l’Europe touchant les coutumes de ces peuples. La vie des Turcs est pour nous l’idéal de la puissance et du plaisir, et je vois qu’ils ne sont pas seulement maître chez eux.

— Presque tous, me répondit le consul, ne vivent, en réalité, qu’avec une seule femme. Les filles de bonne maison en font presque toujours une condition de leur alliance. L’homme assez riche pour nourrir et entretenir convenablement plusieurs femmes, c’est-à-dire donner à chacune un logement à part, une servante et deux vêtements complets par année, ainsi que tous les mois une somme fixée peur son entretien, peut, il est vrai, prendre jusqu’à quatre épouses ; mais la loi l’oblige à consacrer à chacune un jour de la semaine, ce qui n’est pas toujours fort agréable. Songez aussi que les intrigues de quatre femmes, à peu près égales en droits, lui feraient l’existence la plus malheureuse, si ce n’était un homme très-riche et très-haut placé. Chez ces derniers, le nombre des femmes est un luxe comme celui des chevaux ; mais ils aiment mieux en général, se borner à une épouse légitime et avoir de belles esclaves, avec lesquelles encore ils n’ont pas toujours les relations les plus faciles, surtout si leurs femmes sont d’une grande famille.

— Pauvres Turcs ! m’écriai-je, comme on les calomnie ! Mais, s’il s’agit simplement d’avoir çà et là des maîtresses, tout homme riche en Europe a les mêmes facilités.

— Ils en ont de plus grandes, me dit le consul. En Europe, les institutions sont farouches sur ces points-là ; mais les mœurs prennent bien leur revanche. Ici, la religion, qui règle tout, domine à la fois l’ordre social et l’ordre moral, et, comme elle ne commande rien d’impossible, on se fait un point d’honneur de l’observer. Ce n’est pas qu’il n’y ait des exceptions ; cependant elles sont rares, et n’ont guère pu se produire que depuis la réforme. Les dévots de Constantinople furent indignés contre