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LES FEMMES DU CAIRE.

Mahmoud, parce qu’on apprit qu’il avait fait construire une salle de bain magnifique où il pouvait assister à la toilette de ses femmes ; mais la chose est très-peu probable, et ce n’est sans doute qu’une invention des Européens.

Nous parcourions, causant ainsi, les sentiers pavés de cailloux ovales format des dessins blancs et noirs et ceints d’une haute bordure de buis taillé ; je voyais en idée les blanches cadines se disperser dans les allées, traîner leurs babouches sur le pavé de mosaïque, et s’assembler dans les cabinets de verdure ou de grands ifs se découpaient en balustres et en arcades ; des colombes s’y posaient parfois comme les âmes plaintives de cette solitude, et je songeais qu’un Turc, au milieu de tout cela, ne pouvait poursuivre que le fantôme du plaisir. L’Orient n’a plus de grands amoureux ni de grands voluptueux même ; l’amour idéal de Medjnoun ou d’Antar est oublié des musulmans modernes, et l’inconstante ardeur de don Juan leur est inconnue. Ils ont de beaux palais sans aimer l’art ; de beaux jardins sans aimer la nature ; de belles femmes sans comprendre l’amour. Je ne dis pas cela pour Méhémet-Ali, Macédonien d’origine, et qui, en mainte occasion, a montré l’âme d’Alexandre ; mais je regrette que son fils et lui n’aient pu rétablir en Orient la prééminence de la race arabe, si intelligente, si chevaleresque autrefois. L’esprit turc les gagne d’un côté, l’esprit européen de l’autre ; c’est un médiocre résultat de tant d’efforts !

Nous retournâmes au Caire après avoir visité le bâtiment du Nilomètre, où un pilier gradué, anciennement consacré à Sérapis, plonge dans un bassin profond et sert à constater la hauteur des inondations de chaque année. Le consul voulut nous mener encore au cimetière de la famille du pacha. Voir le cimetière après le harem, c’était une triste comparaison à faire ; mais, en effet, la critique de la polygamie est là. Ce cimetière, consacré aux seuls enfants de cette famille, a l’air d’être celui d’une ville. Il y a là plus de soixante tombes, grandes et petites, neuves pour la plupart, et composées de cippes de marbre blanc. Chacun de ces cippes est surmonté soit d’un turban, soit