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VOYAGE EN ORIENT.

dire « un être impie et tyrannique ; » je fus affecté de ce reproche, mais bien aise d’apprendre que le nom des anciens rois de ce pays était devenu une injure. Il n’y avait pas de quoi s’en fâcher pourtant ; on m’apprit que cette cérémonie des oignons était générale dans les maisons du Caire à un certain jour de l’année ; cela sert à conjurer les maladies épidémiques.

Les craintes de la pauvre fille se vérifièrent ; en raison probablement de son imagination frappée. Elle tomba malade assez gravement, et, quoi que je pusse faire, elle ne voulut suivre aucune prescription de médecin. Pendant mon absence, elle avait appelé deux femmes de la maison voisine en leur parlant d’une terrasse à l’autre, et je les trouvai installées près d’elle, qui récitaient des prières, et faisaient, comme me l’apprit Mansour, des conjurations contre les afrites ou mauvais esprits. Il parait que la profanation des oignons avait révolté ces derniers et qu’il y en avait deux spécialement hostiles à chacun de nous, dont l’un s’appelait le Vert, et l’autre le Doré.

Voyant que le mal était surtout dans l’imagination, je laissai faire les deux femmes, qui en amenèrent enfin une autre très-vieille. C’était une santone renommée. Elle apportait un réchaud qu’elle posa au milieu de la chambre, et où elle fit brûler une pierre qui me sembla être de l’alun. Cette cuisine avait pour objet de contrarier beaucoup les afrites, que les femmes voyaient clairement dans la fumée, et qui demandaient grâce. Mais il fallait extirper tout à fait le mal ; on fit lever l’esclave, et elle se pencha sur la fumée, ce qui provoqua une toux très-forte ; pendant ce temps, la vieille lui frappait le dos, et toutes chantaient d’une voix traînante des prières et des imprécations arabes.

Mansour, en qualité de chrétien cophte, était choqué de toutes ces pratiques ; mais, si la maladie provenait d’une cause morale, quel mal y avait-il à laisser agir un traitement analogue ? Le fait est que, dès le lendemain, il y eut un mieux évident, et la guérison s’ensuivit.

L’esclave ne voulut plus se séparer des deux voisines qu’elle