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LES FEMMES DU CAIRE.

habituelles en guidant les pas de quatre femmes qui se livraient à cette saltarelle éperdue que j’ai déjà décrite, et qui ne varie guère qu’en raison du plus ou moins de feu des exécutants.

Pendant un des intervalles de la musique et de la danse, le reïs m’avait fait prendre place près d’un vieillard qu’il me dit être son père. Ce bonhomme, en apprenant quel était mon pays, m’accueillit avec un juron essentiellement français, que sa prononciation transformait d’une façon comique. C’était tout ce qu’il avait retenu de la langue des vainqueurs de 98. Je lui répondis en criant :

— Napoléon !

Il ne parut pas comprendre. Cela m’étonna ; mais je songeai bientôt que ce nom datait seulement de l’Empire.

— Avez-vous connu Bonaparte ? lui dis-je en arabe.

Il pencha la tête en arrière avec une sorte de rêverie solennelle, et se mit à chanter à pleine gorge :

Ya salam, Bounabarteh !
(Salut à toi, Ô Bonaparte !)

Je ne pus m’empêcher de fondre en larmes en écoutant ce vieillard répéter le vieux chant des Égyptiens en l’honneur de celui qu’ils appelaient le sultan Kébir. Je le pressai de le chanter tout entier ; mais sa mémoire n’en avait retenu que peu de vers.

« Tu nous as fait soupirer par ton absence, ô général qui prends le café avec du sucre ! ô général charmant dont les joues sont si agréables, toi dont le glaive a frappé les Turcs ! salut à toi !

» Ô toi dont la chevelure est si belle ! depuis le jour où tu entras au Caire, cette ville a brillé d’une lueur semblable à celle d’une lampe de cristal ; salut à toi ! »

Cependant le reïs, indifférent à ces souvenirs, était allé du côté des enfants, et l’on semblait préparer tout pour une cérémonie nouvelle.

En effet, les enfants ne tardèrent pas à se ranger sur deux lignes, et les autres personnes réunies dans la maison se