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VOYAGE EN ORIENT.

levèrent ; car il s’agissait de promener dans le village l’enfant qui, la veille déjà, avait été promené au Caire. On amena un cheval richement harnaché, et le petit bonhomme, qui pouvait avoir sept ans, couvert d’habits et d’ornements de femmes (le tout emprunté probablement), fut hissé sur la selle, où deux de ses parents le maintenaient de chaque côté. Il était fier comme un empereur, et tenait, selon l’usage, un mouchoir sur sa bouche. Je n’osais le regarder trop attentivement, sachant que les Orientaux craignent en ce cas le mauvais œil ; mais je pris garde à tous les détails du cortège, que je n’avais jamais pu si bien distinguer au Caire, où ces processions des mutahirs diffèrent à peine de celles des mariages.

Il n’y avait pas à celle-là de bouffons nus, simulant des combats avec des lances et des boucliers ; mais quelques Nubiens, montés sur des échasses, se poursuivaient avec de longs bâtons : ceci était pour attirer la foule ; ensuite les musiciens ouvraient la marche ; puis les enfants, vêtus de leurs plus beaux costumes et guidés par cinq ou six faquirs ou santons, qui chantaient des moals religieux ; puis l’enfant à cheval, entouré de ses parents, et enfin les femmes de la famille, au milieu desquelles marchaient les danseuses non voilées, qui, à chaque halte, recommençaient leurs trépignements voluptueux. On n’avait oublié ni les porteurs de cassolettes parfumées, ni les enfants qui secouent les kumkum, flacons d’eau de rose dont on asperge les spectateurs ; mais le personnage le plus important du cortège était sans nul doute le barbier, tenant en main l’instrument mystérieux (dont le pauvre enfant devait plus tard faire l’épreuve), tandis que son aide agitait au bout d’une lance une sorte d’enseigne chargée des attributs de son métier. Devant le mutahir était un de ses camarades, portant, attachée à son col, la tablette à écrire, décorée par le maître d’école de chefs-d’œuvre calligraphiques. Derrière le cheval, une femme jetait continuellement du sel pour conjurer les mauvais esprits. La marche était fermée par les femmes gagées, qui servent de pleureuses aux enterrements et qui accompagnent les céré-