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LES FEMMES DU CAIRE.

L’étonnement de l’Arménien me fit apercevoir qu’il y avait dans cette affaire un de ces absurdes quiproquos philologiques si communs entre les personnes qui savent médiocrement les langues. Le mot kabibé, si singulièrement traduit la veille par l’Arménien, avait, au contraire, la signification la plus charmante et la plus amoureuse du monde. Je ne sais pourquoi le mot de petit drôle lui avait paru rendre parfaitement cette idée en français.

Nous nous livrâmes à une traduction nouvelle et corrigée du refrain chanté par l’esclave, et qui, décidément, signifiait à peu près :

Ô mon petit chéri, mon bien-aimé, mon frère, mon maître !

C’est ainsi que commencent presque toutes les chansons d’amour arabes, susceptibles des interprétations les plus diverses, et qui rappellent aux commençants l’équivoque classique de l’églogue de Corydon.


VI — JOURNAL DE BORD


L’humble vérité n’a pas les ressources immenses des combinaisons dramatiques ou romanesques. Je recueille un à un des événements qui n’ont de mérite que par leur simplicité même, et je sais qu’il serait aisé pourtant, fût-ce dans la relation d’une traversée aussi vulgaire que celle du golfe de Syrie, de faire naître des péripéties vraiment dignes d’attention ; mais la réalité grimace à côté du mensonge, et il vaut mieux, ce me semble, dire naïvement, comme les anciens navigateurs : « Tel jour, nous n’avons rien vu en mer qu’un morceau de bois qui flottait à l’aventure ; tel autre, qu’un goëland aux ailes grises… » jusqu’au moment trop rare où l’action se réchauffe et se complique d’un canot de sauvages qui viennent apporter des ignames et des cochons de lait rôtis.

Cependant, à défaut de la tempête obligée, un calme plat tout à fait digne de l’océan Pacifique, et le manque d’eau douce sur