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LES FEMMES DU CAIRE.

qu’elle m’a été vendue au Caire par Abd-el-Kérim, moyennant cinq bourses. J’ai le reçu dans mon portefeuille. Et, d’ailleurs, cela ne les regarde pas.

— Ils disent que le marchand n’avait pas le droit de vendre une femme musulmane à un chrétien.

— Leur opinion m’est indifférente, et, au Caire, on en sait plus qu’eux là-dessus. Tous les Francs y ont des esclaves, soit chrétiens, soit musulmans.

— Mais ce ne sont que des nègres ou des Abyssiniens ; ils ne peuvent avoir d’esclaves de la race blanche.

— Trouvez-vous que cette femme soit blanche ?

L’Arménien secoua la tête d’un air de doute.

— Écoutez, lui dis-je ; quant à mon droit, je ne puis en douter, ayant pris d’avance les informations nécessaires. Dites maintenant au capitaine qu’il ne convient pas que ses matelots causent avec elle.

— Le capitaine, me dit-il après avoir parlé à ce dernier, répond que vous auriez pu le lui défendre à elle-même tout d’abord.

— Je ne voulais pas, répliquai-je, la priver du plaisir de parler sa langue, ni l’empêcher de se joindre aux prières ; d’ailleurs, la conformation du bâtiment obligeant tout le monde d’être ensemble, il était difficile d’empêcher l’échange de quelques paroles.

Le capitaine Nicolas n’avait pas l’air très-bien disposé, ce que j’attribuais quelque peu au ressentiment d’avoir vu sa proposition d’échange repoussée. Cependant il fit venir le matelot hadji, que j’avais désigné surtout comme malveillant, et lui parla. Quant à moi, je ne voulais rien dire à l’esclave, pour ne pas me donner le rôle odieux d’un maître exigeant.

Le matelot parut répondre d’un air très-fier au capitaine, qui me fit dire par l’Arménien de ne plus me préoccuper de cela ; que c’était un homme exalté, une espèce de saint que ses camarades respectaient à cause de sa piété ; que ce qu’il disait n’avait nulle importance d’ailleurs.