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VOYAGE EN ORIENT.

raient seuls attaquer un Franc. Deux ou trois d’entre eux s’avancèrent en proférant des injures, et, machinalement, j’avais saisi un des pistolets de ma ceinture sans songer que ces armes à la crosse étincelante, achetées au Caire pour compléter mon costume, ne sont fatales d’ordinaire qu’à la main qui veut s’en servir. J’avouerai, de plus, qu’elles n’étaient point chargées.

— Y songez-vous ? me dit l’Arménien en m’arrêtant le bras. C’est un fou, et, pour ces gens-là, c’est un saint ; laissez-les crier, le capitaine va leur parler.

L’esclave faisait mine de pleurer, comme si je lui avais fait beaucoup de mal, et ne voulait pas bouger de la place où elle était. Le capitaine arriva, et dit avec son air indifférent ;

— Que voulez-vous ! ce sont des sauvages !

Et il leur adressa quelques paroles assez mollement.

— Ajoutez, dis-je à l’Arménien, qu’arrivé à terre, j’irai trouver le pacha, et je leur ferai donner des coups de bâton.

Je crois bien que l’Arménien leur traduisit cela par quelque compliment empreint de modération. Ils ne dirent plus rien, mais je sentais bien que ce silence me laissait une position trop douteuse. Je me souvins fort à propos d’une lettre de recommandation que j’avais dans mon portefeuille pour le pacha d’Acre, et qui m’avait été donnée par mon ami Alphonse Royer, qui a été quelque temps membre du divan à Constantinople. Je tirai mon portefeuille de ma veste, ce qui excita une inquiétude générale. Le pistolet n’aurait servi qu’à me faire assommer… surtout étant de fabrique arabe ; mais les gens du peuple en Orient croient toujours les Européens quelque peu magiciens et capables de tirer de leur poche, à un moment donné, de quoi détruire toute une armée. On se rassura en voyant que je n’avais extrait du portefeuille qu’une lettre, du reste fort proprement écrite en arabe et adressée à Son Excellence Méhmed-R***, pacha d’Acre, qui, précédemment, avait longtemps séjourné en France.

Ce qu’il y avait de plus heureux dans mon idée et dans ma