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LES FEMMES DU CAIRE.


IX — CÔTES DE PALESTINE


J’ai salué avec enivrement l’apparition tant souhaitée de la côte d’Asie. Il y avait si longtemps que je n’avais vu des montagnes ! La fraîcheur brumeuse du paysage, l’éclat si vif des maisons peintes et des kiosques turcs se mirant dans l’eau bleue, les zones diverses des plateaux qui s’étagent si hardiment entre la mer et le ciel, le pic écrasé du Carmel, l’enceinte carrée et la haute coupole de son couvent célèbre illuminées au loin de cette radieuse teinte cerise, qui rappelle toujours la fraîche Aurore des chants d’Homère ; au pied de ces monts, Kaïffa, déjà dépassée, faisant face à Saint-Jean-d’Acre, située à l’autre extrémité de la baie, et devant laquelle notre navire s’était arrêté : c’était un spectacle à la fois plein de grandeur et de grâce. La mer, à peine onduleuse, s’étalant comme l’huile vers la grève où moussait la mince frange de la vague, et luttant de teinte azurée avec l’éther qui vibrait déjà des feux du soleil encore invisible…, voilà ce que l’Égypte n’offre jamais avec ses côtes basses et ses horizons souillés de poussière. Le soleil parut enfin ; il découpa nettement devant nous la ville d’Acre s’avançant dans la mer sur son promontoire de sable, avec ses blanches coupoles, ses murs, ses maisons à terrasse, et la tour carrée aux créneaux festonnés, qui fut naguère la demeure du terrible Djezzar-Pacha, contre lequel lutta Napoléon.

Nous avions jeté l’ancre à peu de distance du rivage. Il fallait attendre la visite de la Santé avant que les barques pussent venir nous approvisionner d’eau fraîche et de fruits. Quant à débarquer, cela nous était interdit, à moins de vouloir nous arrêter dans la ville et y faire quarantaine.

Aussitôt que le bateau de la Santé fut venu constater que nous étions malades, comme arrivant de la côte d’Égypte, il fut permis aux barquettes du port de nous apporter les rafraîchissements attendus, et de recevoir notre argent avec les précautions usitées. Aussi, contre les tonnes d’eau, les melons, les