Page:Nerval - Voyage en Orient, I, Lévy, 1884.djvu/265

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
253
LES FEMMES DU CAIRE.

Pourtant j’avais peine à admettre la dissimulation dans cette âme naïve ; le sentiment religieux si prononcé en elle la devait même défendre de cette bassesse. Je ne pouvais, d’un autre côté, me dissimuler les avantages de l’Arménien. Tout jeune encore, et beau de cette beauté asiatique, aux traits fermes et purs, des races nées au berceau du monde, il donnait l’idée d’une fille charmante qui aurait eu la fantaisie d’un déguisement d’homme ; son costume même, à l’exception de la coiffure, n’ôtait qu’à demi cette illusion.

Me voilà comme Arnolphe, épiant de vaines apparences avec la conscience d’être doublement ridicule ; car je suis, de plus, un maître. J’ai la chance d’être à la fois trompé et volé, et je me répète, comme un jaloux de comédie :

— Que la garde d’une femme est un pesant fardeau !… — Du reste, me disais-je presque aussitôt, cela n’a rien d’étonnant ; il la distrait et l’amuse par ses contes, il lui dit mille gentillesses, tandis que, moi, lorsque j’essaye de parler dans sa langue, je dois produire un effet risible, comme un Anglais, un homme du Nord, froid et lourd, relativement à une femme de mon pays. Il y a chez les Levantins une expansion chaleureuse qui doit être séduisante en effet !

De ce moment, l’avouerai-je ? il me sembla remarquer des serrements de mains, des paroles tendres, que ne gênait même pas ma présence. J’y réfléchis quelque temps ; puis je crus devoir prendre une forte résolution.

— Mon cher, dis-je à l’Arménien, qu’est-ce que vous faisiez en Égypte ?

— J’étais secrétaire de Toussoun-Bey ; je traduisais pour lui des journaux et des livres français ; j’écrivais ses lettres aux fonctionnaires turcs. Il est mort tout d’un coup, et l’on m’a congédié, voilà ma position.

— Et maintenant, que comptez-vous faire ?

— J’espère entrer au service du pacha de Beyrouth. Je connais son trésorier, qui est de ma nation.

— Et ne songez-vous pas à vous marier ?