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VOYAGE EN ORIENT.

eux leurs étendards roulés autour des lances : tout cet appareil féodal, qui m’étonnait moi-même comme un tableau des croisades, apprenait à la pauvre esclave qu’il y avait, même en pays turc, de la pompe et de la puissance en dehors du principe musulman.

L’effet extérieur séduit partout les femmes, surtout les femmes ignorantes et simples, et devient souvent la principale raison de leurs sympathies ou de leurs convictions. Lorsque nous nous rendions à Beyrouth, et qu’elle traversait la foule composée de femmes sans voiles, qui portaient sur la tête le tantour, corne d’argent ciselée et dorée qui balance un voile de gaze derrière leur tête, autre mode conservée du moyen âge, d’hommes fiers et richement armés, dont pourtant le turban rouge ou bariolé indiquait des croyances en dehors de l’islamisme, elle s’écriait :

— Que de glaours !…

Et cela adoucissait un peu mon ressentiment d’avoir été injurié avec ce mot.

Il s’agissait pourtant de prendre un parti. Les Maronites, nos hôtes, qui aimaient peu ses manières, et qui la jugeaient, du reste, au point de vue de l’intolérance catholique, me disaient :

— Vendez-la.

Ils me proposaient même d’amener un Turc qui ferait l’affaire. On comprend quel cas je faisais de ce conseil peu évangélique.

J’allai voir le père Planchet à son couvent, situé presque aux portes de Beyrouth. Il y avait là des classes d’enfants chrétiens dont il dirigeait l’éducation. Nous causâmes longtemps de M. de Lamartine, qu’il avait connu et dont il admirait beaucoup les poésies. Il se plaignit de la peine qu’il avait à obtenir du gouvernement turc l’autorisation d’agrandir le couvent. Cependant les constructions interrompues révélaient un plan grandiose, et un escalier magnifique en marbre de Chypre conduisait à des étages encore inachevés. Les couvents catho-