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VOYAGE EN ORIENT.

d’être fait chez eux comme une compensation de l’incendie précédent d’une maison chrétienne.

Ainsi se termina cette terrible expédition, où je m’étais promis de recueillir tant de gloire ; mais toutes les querelles des villages mixtes ne trouvent pas des arbitres aussi conciliants que l’avait été le prince Abou-Miran. Cependant il faut dire que, si l’on peut citer des assassinats isolés, les querelles générales sont rarement sanglantes. C’est un peu alors comme les combats des Espagnols, où l’on se poursuit dans les monts sans se rencontrer, parce que l’un des partis se cache toujours quand l’autre est en force. On crie beaucoup, on brûle des maisons, on coupe des arbres, et les bulletins, rédigés par des intéressés, donnent seuls le compte des morts.

Au fond, ces peuples s’estiment entre eux plus qu’on ne croit, et ne peuvent oublier les liens qui les unissaient jadis. Tourmentés et excités soit par les missionnaires, soit par les moines, dans l’intérêt des influences européennes, ils se ménagent à la manière des condottieri d’autrefois, qui livraient de grands combats sans effusion de sang. Les moines prêchent, il faut bien courir aux armes ; les missionnaires anglais déclament et payent, il faut bien se montrer vaillants ; mais il y a au fond de tout cela doute et découragement. Chacun comprend déjà ce que veulent quelques puissances de l’Europe, divisées de but et d’intérêt et secondées par l’imprévoyance des Turcs. En suscitant des querelles dans les villages mixtes, on croit avoir prouvé la nécessité d’une entière séparation entre les deux races autrefois unies et solidaires. Le travail qui se fait en ce moment dans le Liban sous couleur de pacification consiste à opérer l’échange des propriétés qu’ont les Druses dans les cantons chrétiens contre celles qu’ont les chrétiens dans les cantons druses. Alors, plus de ces luttes intestines tant de fois exagérées ; seulement, on aura deux peuples bien distincts, dont l’un sera placé peut-être sous la protection de l’Autriche, et l’autre sous celle de l’Angleterre. Il serait alors difficile que la France recouvrât l’influence qui, du temps de