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DRUSES ET MARONITES.

déjà je me sentais ému et embarrassé plus qu’il ne convenait à un visiteur simplement curieux ; l’accueil simple et confiant du cheik me rassura. J’étais au moment de lui dire à fond ma pensée ; mais les expressions que je cherchais pour cela ne faisaient que m’avertir de la singularité de ma démarche. Je me bornai donc, pour cette fois, à une conversation de touriste. Il avait vu déjà dans sa prison plusieurs Anglais, et était fait aux interrogations sur sa race et sur lui-même.

Sa position, du reste, le rendait fort patient et assez désireux de conversation et de compagnie. La connaissance de l’histoire de son pays me servait surtout à lui prouver que je n’étais guidé que par un motif de science. Sachant combien on avait de peine à faire donner aux Druses des détails sur leur religion, j’employais simplement la formule semi-interrogative : « Est-il vrai que…? » et je développais toutes les assertions de Niebuhr, de Volney et de Sacy. Le Druse secouait la tête avec la réserve prudente des Orientaux, et me disait simplement : « Comment cela est-il ainsi ? Les chrétiens sont-ils aussi savants ?… De quelle manière a-t-on pu apprendre cela ? » et autres phrases évasives.

Je vis bien qu’il n’y avait pas grand’chose de plus à en tirer pour cette fois. Notre conversation s’était faite en italien, qu’il parlait assez purement. Je lui demandai la permission de le revenir voir pour lui soumettre quelques fragments d’une histoire du grand émir Fakardin, dont je lui dis que je m’occupais. Je supposais que l’amour-propre national le conduirait à rectifier les faits peu favorables à son peuple. Je ne me trompais pas. Il comprit peut-être que, dans une époque où l’Europe a tant d’influence sur la situation des peuples orientaux, il convenait d’abandonner un peu cette prétention à une doctrine secrète qui n’a pu résister à la pénétration de nos savants.

— Songez donc, lui dis-je, que nous possédons dans nos bibliothèques une centaine de vos livres religieux, qui tous ont été lus, traduits, commentés.