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VOYAGE EN ORIENT.

— Notre Seigneur est grand ! dit-il en soupirant.

Je crois bien qu’il me prit cette fois pour un missionnaire ; mais il n’en marqua rien extérieurement, et n’engagea vivement à le revenir voir, puisque j’y trouvais quelque plaisir.

Je ne puis te donner qu’un résumé des entretiens que j’eus avec le cheik druse, et dans lesquels il voulut bien rectifier les idées que je m’étais formées de sa religion d’après des fragments de livres arabes, traduits au hasard et commentés par les savants de l’Europe. Autrefois, ces choses étaient secrètes pour les étrangers, et les Druses cachaient leurs livres avec soin dans les lieux les plus retirés de leurs maisons et de leurs temples.

C’est pendant les guerres qu’ils eurent à soutenir, soit contre les Turcs, soit contre les Maronites, qu’on parvint à réunir un grand nombre de ces manuscrits et à se faire une idée de l’ensemble du dogme ; mais il était impossible qu’une religion établie depuis huit siècles n’eut pas produit un fatras de dissertations contradictoires, œuvre des sectes diverses et des phases successives amenées par le temps. Certains écrivains y ont donc vu un monument des plus compliqués de l’extravagance humaine ; d’autres ont exalté le rapport qui existe entre la religion druse et la doctrine des initiations antiques. Les Druses ont été comparés successivement aux pythagoriciens, aux esséniens, aux gnostiques, et il semble aussi que les templiers, les rose-croix et les francs-maçons modernes leur aient emprunté beaucoup d’idées. On ne peut douter que les écrivains des croisades ne les aient confondus souvent avec les ismaéliens, dont une secte a été cette fumeuse association des assassins qui fut un instant la terreur de tous les souverains du monde ; mais ces derniers occupaient le Kurdistan, et leur cheik-el-djebel, ou Vieux die la Montagne, n’a aucun rapport avec le prince de la montagne du Liban.

La religion des Druses a cela de particulier, qu’elle prétend être la dernière révélée au monde. En effet, son Messie apparut vers l’an 1000, prés de quatre cents ans après Mahomet.