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Page:Nerval - Voyage en Orient, I, Lévy, 1884.djvu/362

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VOYAGE EN ORIENT.

de la réserve, et semblait porter bonheur à la ville ; mais, ce jour-là, quand le peuple en fureur demanda qu’il lui fût livré des grains, les employés répondirent qu’il était venu des bandes d’oiseaux qui avaient tout dévoré. À cette réponse, le peuple s’était cru menacé des plus grands maux, et, depuis ce moment, la consternation régnait partout.

— Comment, se disait Hakem, n’ai-je rien vu de ces choses ? Est-il possible qu’un prodige pareil se soit accompli ? J’en aurais vu l’annonce dans les astres ; rien n’est dérangé non plus dans le pentacle que j’ai tracé.

Il se livrait à cette méditation, quand un vieillard, qui portait le costume des Syriens, s’approcha de lui et dit :

— Pourquoi ne leur donnes-tu pas du pain, seigneur ?

Hakem leva la tête avec étonnement, fixa son œil de lion sur l’étranger et crut que cet homme l’avait reconnu sous son déguisement.

Cet homme était aveugle.

— Es-tu fou, dit Hakem, de t’adresser avec ces paroles à quelqu’un que tu ne vois pas et dont tu n’as entendu que les pas dans la poussière !

— Tous les hommes, dit le vieillard» sont aveugles vis-à-vis de Dieu.

— C’est donc à Dieu que tu t’adresses ?

— C’est à toi, seigneur.

Hakem réfléchit un instant, et sa pensée tourbillonna de nouveau comme dans l’ivresse du hachich.

— Sauve-les, dit le vieillard ; car toi seul es la puissance, toi seul es la vie, toi seul es la volonté !

— Crois-tu donc que je puisse créer du blé ici, sur l’heure ? répondit Hakem en proie à une pensée indéfinie.

— Le soleil ne peut luire à travers le nuage, il le dissipe lentement. Le nuage qui te voile en ce moment, c’est le corps où tu as daigné descendre, et qui ne peut agir qu’avec les forces de l’homme. Chaque être subit la loi des choses ordonnées par Dieu, Dieu seul n’obéit qu’à la loi qu’il s’est faite lui--