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LES FEMMES DU CAIRE.

man-Aga confondait sans doute l’empressement intéressé de certaines femmes avec la curiosité honnête du plus grand nombre.

— Encore, ajoutait Soliman-Aga, sans répondre à mon observation, qui parut seulement dictée par l’amour-propre national, si ces belles méritaient qu’un croyant leur permît de baiser sa main ! mais ce sont des plantes d’hiver, sans couleur et sans goût, des figures maladives que la famine tourmente, car elles mangent à peine, et leur corps tiendrait entre mes mains. Quant à les épouser, c’est autre chose ; elles ont été élevées si mal, que ce seraient la guerre et le malheur dans la maison. Chez nous, les femmes vivent ensemble et les hommes ensemble, c’est le moyen d’avoir partout la tranquillité.

— Mais ne vivez-vous pas, dis-je, au milieu de vos femmes dans vos harems ?

— Dieu puissant ! s’écria-t-il, qui n’aurait la tête cassée de leur babil ? Ne voyez-vous pas qu’ici les hommes qui n’ont rien à faire passent leur temps à la promenade, au bain, au café, à la mosquée, ou dans les audiences, ou dans les visites qu’on se fait les uns aux autres ? N’est-il pas plus agréable de causer avec des amis, d’écouter des histoires et des poèmes, ou de fumer en rêvant, que de parler à des femmes préoccupées d’intérêts grossiers, de toilette ou de médisance ?

— Mais vous supportez cela nécessairement aux heures où vous prenez vos repas avec elles.

— Nullement. Elles mangent ensemble ou séparément à leur choix, et nous mangeons tout seuls, ou avec nos parents et nos amis. Ce n’est pas qu’un petit nombre de fidèles n’agissent autrement, mais ils sont mal vus et mènent une vie lâche et inutile. La compagnie des femmes rend l’homme avide, égoïste et cruel ; elle détruit la fraternité, et la charité entre nous ; elle cause les querelles, les injustices et la tyrannie. Que chacun vive avec ses semblables ! c’est assez que le maître, à l’heure de la sieste, ou quand il rentre le soir dans son logis, trouve pour le recevoir des visages souriants, d’aimables formes richement pa-