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LES FEMMES DU CAIRE.

toutes les nations européennes exposent leurs produits les plus usuels. L’Angleterre domine pour les étoffes et la vaisselle ; l’Allemagne pour les draps ; la France, pour les modes ; Marseille, pour les épiceries, les viandes fumées et les menus objets d’assortiment. Je ne cite point Marseille avec la France, car, dans le Levant, on ne tarde pas à s’apercevoir que les Marseillais forment une nation à part ; ceci soit dit dans le sens le plus favorable d’ailleurs.

Parmi les boutiques où l’industrie européenne attire de son mieux les plus riches habitants du Caire, les Turcs réformistes, ainsi sur les Cophtes et les Grecs, plus facilement accessibles à nos habitudes, il y a une brasserie anglaise où l’on peut aller contrarier, à l’aide de madère, du porter ou de l’ale, l’action émolliente des eaux du Nil. Un autre lieu de refuge contre la vie orientale est la pharmacie Castagnol, où très-souvent les beys, les mushirs et les nazirs originaires de Paris viennent s’entretenir avec les voyageurs et retrouver un souvenir de la patrie. On n’est pas étonné de voir les chaises de l’officine, et même les même les bancs extérieurs, se garnir d’Orientaux douteux, à la poitrine chargée d’étoiles en brillants, qui causent en français et lisent les journaux, tandis que des saïs tiennent tout prêts à leur disposition des chevaux fringants, aux selles brodées d’or. Cette affluence s’explique aussi par le voisinage de la poste franque, située dans l’impasse qui aboutit à l’hôtel Domergue. On vient attendre tous les jours la correspondance et les nouvelles, qui arrivent de loin en loin, selon l’état des routes ou la diligence des messagers. Le bateau à vapeur anglais ne remonte le Nil qu’une fois par mois.

Je touche au bout de mon itinéraire, car je rencontre à la pharmacie Castagnol mon peintre de l’hôtel français, qui fait préparer du chlorure d’or pour son daguerréotype. Il me propose de venir avec lui prendre un point de vue dans la ville ; je donne donc congé au drogman, qui se hâte d’aller s’installer dans la brasserie anglaise, ayant pris, je le crains