bien, du contact de ses précédents maîtres, un goût immodéré pour la bière forte et le wiskey.
En acceptant la promenade proposée, je complotais une idée plus belle encore : c’était de me faire conduire au point le plus embrouillé de la ville, d’abandonner le peintre à ses travaux, et puis d’errer à l’aventure, sans interprète et sans compagnon. Voilà ce que je n’avais pu obtenir jusque-là, le drogman se prétendant indispensable, et tous les Européens que j’avais rencontrés me proposant de me faire voir « les beautés de la ville. » Il faut avoir un peu parcouru le Midi pour connaître toute la portée de cette hypocrite proposition. Vous croyez que l’aimable résident se fait guide par bonté d’âme. Détrompez-vous ; il n’a rien à faire, il s’ennuie horriblement, il a besoin de vous pour l’amuser, pour le distraire, pour « lui faire la conversation ; » mais il ne vous montrera rien que vous n’eussiez trouvé du premier coup : même il ne connaît point la ville, il n’a pas d’idée de ce qui s’y passe ; il cherche un but de promenade et un moyen de vous ennuyer de ses remarques et de s’amuser des vôtres. D’ailleurs, qu’est-ce qu’une belle perspective, un monument, un détail curieux, sans le hasard, sans l’imprévu ?
Un préjugé des Européens du Caire, c’est de ne pouvoir faire dix pas sans monter sur un âne escorté d’un ânier. Les ânes sont fort beaux, j’en conviens, trottent et galopent à merveille ; l’ânier vous sert de cavasse et fait écarter la foule en criant : Ha ! ha ! iniglac ! smulac ! ce qui veut dire : « À droite ! à gauche ! » Les femmes ayant l’oreille ou la tête plus dure que les autres passants, l’ânier crie à tout moment : Ia bent ! (hé ! femme !) d’un ton impérieux qui fait bien sentir la supériorité du sexe masculin.
VI — UNE AVENTURE AU BESESTAIN
Nous chevauchions ainsi, le peintre et moi, suivis d’un âne qui portait le daguerréotype, machine compliquée et fragile