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VOYAGE EN ORIENT.

répond avec l’accent guttural des Arabes, ce qui rend l’entretien fort peu clair.

Je tâchais d’exprimer ce qu’il y avait de singulier dans la ressemblance des deux femmes. L’une était la miniature de l’autre. Les traits vagues encore de l’enfant se dessinaient mieux chez la mère ; on pouvait prévoir entre ces deux âges une saison charmante qu’il serait doux de voir fleurir. Il y avait près de nous un tronc de palmier renversé depuis peu de jours par le vent, et dont les rameaux trempaient dans l’extrémité du bassin. Je le montrai du doigt en disant :

Oggi è il giorno delle palme.

Or, les fêtes cophtes, se réglant sur le calendrier primitif de l’Église, ne tombent pas en même temps que les nôtres. Toutefois la petite fille alla cueillir un rameau qu’elle garda à la main, et dit :

Io cosi sono Roumi. (Moi, comme cela, je suis Romaine !)

Au point de vue des Égyptiens, tous les Francs sont des Romains. Je pouvais donc prendre cela pour un compliment et pour une allusion au futur mariage… O Hymen, Hyménée ! je t’ai vu ce jour-là de bien près ! Tu ne dois être sans doute, selon nos idées européennes, qu’un frère puiné de l’Amour. Pourtant ne serait-il pas charmant de voir grandir et se développer près de soi l’épouse que l’on s’est choisie, de remplacer quelque temps le père avant d’être l’amant !… Mais pour le mari quel danger !

En sortant du jardin, je sentais le besoin de consulter mes amis du Caire. J’allai voir Soliman-Aga.

— Mariez-vous donc de par Dieu ! me dit-il, comme Pantagruel à Panurge.

J’allai de là chez le peintre de l’hôtel Domergue, qui me cria de toute sa voix de sourd :

— Si c’est devant le consul… ne vous mariez pas !

Il y a, quoi qu’on fasse, un certain préjugé religieux qui domine l’Européen en Orient, du moins dans les circonstances graves. Faire un mariage à la cophte, comme on dit au Caire, ce