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LES FEMMES DU CAIRE.

n’est rien que de fort simple ; mais le faire avec une toute jeune enfant, qu’on vous livre pour ainsi dire, et qui contracte un lien illusoire pour vous-même, c’est une grave responsabilité morale assurément.

Comme je m’abandonnais à ces sentiments délicats, je vis arriver Abdallah revenu de Suez ; j’exposai ma situation.

— Je m’étais bien douté, s’écria-t-il, qu’on profiterait de mon absence pour vous faire faire des sottises. Je connais la famille. Vous êtes-vous inquiété de la dot ?

— Oh ! peu m’importe ; je sais qu’ici ce doit être peu de chose.

— On parle de vingt mille piastres (cinq mille francs).

— Eh bien, c’est toujours cela.

— Comment donc ! mais c’est vous qui devez les payer.

— Ah ! c’est bien différent… Ainsi, il faut que j’apporte une dot, au lieu d’en recevoir une ?

— Naturellement. Ignorez-vous que c’est l’usage ici ?

— Comme on me parlait d’un mariage à l’européenne…

— Le mariage, oui ; mais la somme se paye toujours. C’est un petit dédommagement pour la famille.

Je comprenais dès lors l’empressement des parents dans ce pays à marier les petites filles. Rien n’est plus juste d’ailleurs, à mon avis, que de reconnaître, en payant, la peine que de braves gens se sont donnée de mettre au monde et d’élever pour vous une jeune enfant gracieuse et bien faite. Il paraît que la dot, ou pour mieux dire le douaire, dont j’ai indiqué plus haut le minimum, croit en raison de la beauté de l’épouse et de la position des parents. Ajoutez à cela les frais de la noce, et vous verrez qu’un mariage à la cophte devient encore une formalité assez coûteuse. J’ai regretté que le dernier qui m’était proposé fût en ce moment-là au-dessus de mes moyens. Du reste, l’opinion d’Abdallah était que, pour le même prix, on pouvait acquérir tout un sérail au bazar des esclaves.