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VOYAGE EN ORIENT.

Je les ai vus passer comme des messagers de mort et de famine, l’atmosphère en était chargée, et, regardant au-dessus de ma tête, faute de point de comparaison, je les prenais d’abord pour des nuées d’oiseaux. Abdallah, qui était monté en même temps que moi sur la terrasse, fit un cercle dans l’air avec le long tuyau de son chibouque, et il en tomba deux ou trois sur le plancher. Il secoua la tête en regardant ces énormes cigales vertes et roses, et me dit :

— Vous n’en avez jamais mangé ?

Je ne pus m’empêcher de faire un geste d’éloignement pour une telle nourriture, et cependant, si on leur ôte les ailes et les pattes, elles doivent ressembler beaucoup aux crevettes de l’Océan.

— C’est une grande ressource dans le désert, me dit Abdallah ; on les fume, on les sale, et elles ont, à peu de choses près, le goût du hareng saur ; avec de la pâte de dourah, cela forme un mets excellent.

— Mais, à ce propos, dis-je, ne serait-il pas possible de me faire ici un peu de cuisine égyptienne ? Je trouve ennuyeux d’aller deux fois par jour prendre mes repas à l’hôtel.

— Vous avez raison, dit Abdallah ; il faudra prendre à votre service un cuisinier.

— Eh bien, est-ce que le barbarin ne sait rien faire ?

— Oh ! rien. Il est ici pour ouvrir la porte et tenir la maison propre, voilà tout.

— Et vous-même, ne seriez-vous pas capable de mettre au feu un morceau de viande, de préparer quelque chose enfin ?

— C’est de moi que vous parlez ? s’écria Abdallah d’un ton profondément blessé. Non, monsieur, je ne sais rien de semblable.

— C’est fâcheux, repris-je en ayant l’air de continuer une plaisanterie ; nous aurions pu, en outre, déjeuner avec des sauterelles ce matin ; mais, sérieusement, je voudrais prendre mes repas ici. Il y a des bouchers dans la ville, des marchands de