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LES NUITS DU RAMAZAN.

lement ceux qu’il a rendus captifs… Adieu, reine qui si vite oubliez, et qui n’enseignez pas votre secret.

Après ces derniers mots, prononcés avec mélancolie, Adoniram jeta un regard sur Balkis. Un trouble soudain la saisit. Vive par nature et volontaire par l’habitude du commandement, elle ne voulut pas être quittée. Elle s’arma de toute sa coquetterie pour répondre :

— Adoniram, vous êtes un ingrat.

C’était un homme ferme ; il ne se rendit pas.

— Il est vrai ; j’aurais tort de ne pas me souvenir : le désespoir m’a visité une heure dans ma vie, et vous l’avez mise à profit pour m’accabler auprès de mon maître, de mon ennemi.

— Il était là !… murmura la reine honteuse et repentante.

— Votre vie était en péril ; j’avais couru me placer devant vous.

— Tant de sollicitude en un péril si grand ! observa la princesse, et pour quelle récompense !

La candeur, la bonté de la reine lui faisaient un devoir d’être attendrie, et le dédain mérité de ce grand homme outragé lui creusait une blessure saignante.

— Quant à Soliman-Ben-Daoud, reprit le statuaire, son opinion m’inquiétait peu : race parasite, envieuse et servile, travestie sous la pourpre… Mon pouvoir est à l’abri de ses fantaisies. Quant, aux autres qui vomissaient l’injure autour de moi, cent mille insensés sans force ni vertu, j’en fais moins de compte que d’un essaim de mouches bourdonnantes… Mais vous, reine, vous que j’avais seule distinguée dans cette foule, vous que mon estime avait placée si haut !… mon cœur, ce cœur que rien jusque-là n’avait touché, s’est déchiré, et je le regrette peu… Mais la société des humains m’est devenue odieuse. Que me font désormais des louanges ou des outrages qui se suivent de si près et se mêlent sur les mêmes lèvres comme l’absinthe et le miel !

— Vous êtes rigoureux au repentir ! faut-il implorer votre merci, et ne suffit-il pas… ?