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LES NUITS DU RAMAZAN.


Malte.

J’échappe enfin aux dix jours de quarantaine qu’il faut faire à Malte, avant de regagner les riants parages de l’Italie et de la France. Séjourner si longtemps dans les casemates poudreuses d’un fort, c’est une bien amère pénitence de quelques beaux jours passés au milieu des horizons splendides de l’Orient. J’en suis à ma troisième quarantaine ; mais du moins celles de Beyrouth et de Smyrne se passaient à l’ombre de grands arbres, au bord de la mer se découpant dans les rochers, bornés au loin par la silhouette bleuâtre des côtes ou des îles. Ici, nous n’avons eu pour tout horizon que le bassin d’un port intérieur et les rocs découpés en terrasse de la cité de la Valette, où se promenaient quelques soldats écossais aux jambes nues. — Triste impression ! je regagne le pays du froid et des orages, et déjà l’Orient n’est plus pour moi qu’un de ces rêves du matin auxquels viennent bientôt succéder les ennuis du jour.

Que te dirai-je encore, mon ami ? Quel intérêt auras-tu trouvé dans ces lettres heurtées, diffuses, mêlées à des fragments de journal de voyage et à des légendes recueillies au hasard ? Ce désordre même est le garant de ma sincérité ; ce que j’ai écrit, je l’ai vu, je l’ai senti. — Ai-je eu tort de rapporter ainsi naïvement mille incidents minutieux, dédaignés d’ordinaire dans les voyages pittoresques ou scientifiques ?

Dois-je me défendre auprès de toi de mon admiration successive pour les religions diverses des pays que j’ai traversés ? Oui, je me suis senti païen en Grèce, musulman en Égypte, panthéiste au milieu des Druses, et dévot sur les mers aux astres-dieux de la Chaldée ; mais, à Constantinople, j’ai compris la grandeur de cette tolérance universelle qu’exercent aujourd’hui les Turcs.

Ces derniers ont une légende des plus belles que je connaisse : « Quatre compagnons de route, un Turc, un Arabe, un Persan et un Grec, voulurent faire un goûter ensemble. Ils