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DE PARIS À CYTHÈRE.

où naquit Mozart et où l’on montre sa chambre chez un chocolatier. La ville est une sorte de rocher sculpté, dont la haute forteresse domine d’admirables paysages. Mais Vienne m’appelle, et sera pour moi, je l’espère, un avant-goût de l’Orient.


VI — LES AMOURS DE VIENNE


Tu m’as fait promettre de t’envoyer de temps en temps les impressions sentimentales de mon voyage, qui t’intéressent plus, m’as-tu dit, qu’aucune description pittoresque. Je vais commencer. Sterne et Casanova me soient en aide pour te distraire. J’ai envie simplement de te conseiller de les relire, en t’avouant que ton ami n’a point le style de l’un ni les nombreux mérites de l’autre, et qu’à les parodier il compromettait gravement l’estime que tu fais de lui. Mais enfin, puisqu’il s’agit surtout de te servir en te fournissant des observations où ta philosophie puisera des maximes, je prends le parti de te mander au hasard tout ce qui m’arrive, intéressant ou non, jour par jour si je le puis, à la manière du capitaine Cook, qui écrit avoir vu un tel jour un goëland ou un pingouin, tel autre jour n’avoir vu qu’un tronc d’arbre flottant ; ici, la mer était claire ; là, bourbeuse. Mais, à travers ces signes vains, ces flots changeants, il rêvait des îles inconnues et parfumées, et finissait par aborder un soir dans ces retraites du pur amour et de l’éternelle beauté.

Le 21. — Je sortais du théâtre de Léopoldstadt. Il faut te dire d’abord que je n’entends que fort peu le patois qui se parle à Vienne. Il est donc important que je cherche quelque jolie personne de la ville qui veuille bien me mettre au courant du langage usuel. C’est le conseil que donnait Byron aux voyageurs. Voilà donc trois jours que je poursuivais, dans les théâtres, dans les casinos, dans les bals, appelés vulgairement sperls, des brunes et des blondes (il n’y a presque ici que des blondes), et j’en recevais en général peu d’accueil. Hier, au théâtre de Léopoldstadt, j’étais sorti, après avoir marqué ma place : une