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DE PARIS À CYTHÈRE.

Comme je l’avais prévu, la belle personne en question ne tarde pas à sortir. Je la suis, je lui parle, et elle me dit avec simplicité de lui donner le bras, afin que les passants ne nous remarquent pas. Alors, elle me conduit dans toute sorte de quartiers : d’abord chez un marchand du Kohlmarkt, où elle achète des mitaines ; puis chez un pâtissier, où elle me donne la moitié d’un gâteau ; enfin, elle me ramène dans la maison d’où elle était sortie, reste une heure à causer avec moi sous la porte et me dit de revenir le lendemain au soir. Le lendemain, je reviens fidèlement, je frappe à la porte, et tout à coup je me trouve au milieu de deux autres jeunes filles et de trois hommes vêtus de peaux de mouton et coiffés de bonnets plus ou moins valaques. Comme la société m’accueillait cordialement, je me préparais à m’asseoir : mais point du tout. On éteint les chandelles et l’on se met en route pour des endroits éloignés dans le faubourg. Personne ne me dispute la conquête de la veille, quoique l’un des individus soit sans femme, et enfin nous arrivons dans une taverne fort enfumée. Là, les sept ou huit nations qui se partagent la bonne ville de Vienne semblaient s’être réunies pour un plaisir quelconque. Ce qu’il y avait de plus évident, c’est qu’on y buvait beaucoup de vin doux rouge, mêlé de vin blanc plus ancien. Nous prîmes quelques carafes de ce mélange. Cela n’était point mauvais. Au fond de la salle, il y avait une sorte d’estrade où l’on chantait des complaintes dans un langage indéfini, ce qui paraissait amuser beaucoup ceux qui comprenaient. Le jeune homme qui n’avait pas de femme s’assit auprès de moi, et, comme il parlait très-bon allemand, chose rare dans ce pays, je fus content de sa conversation. Quant à la femme avec qui j’étais venu, elle était absorbée dans le spectacle qu’on voyait en face de nous. Le fait est que l’on jouait derrière ce comptoir de véritables comédies. Ils étaient quatre ou cinq chanteurs, qui montaient, jouaient une scène et reparaissaient avec de nouveaux costumes. C’étaient des pièces complètes, mêlées de chœurs et de couplets. Pendant les intervalles, les Moldaves, Hongrois, Bohémiens et autres