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LORELY.

les circonstances changèrent, et il revint après quelques mois de l’Allemagne en donnant toute sorte de louanges à cette vie paisible, studieuse et cependant enthousiaste et amoureuse, qu’il avait partagée. Le sentiment de l’ordre, uni à la passion, lai était venu en voyant réunis tout à la fois tant de calme et tant de poésie. Il avait bien mieux fait que de découvrir dans la poussière des bibliothèques quelques vieux livres tout moisis qui n’intéressent personne ; il avait découvert comment la jeune Allemagne, si fougueuse et si terrible, initiée à toutes les sociétés secrètes, qui s’en va le poignard à la main, marchant incessamment sur les traces sanglantes du jeune Sand, quand elle a enfin jeté au dehors toute sa fougue révolutionnaire, s’en revient docilement à l’obéissance, à l’autorité, à la famille. — Double phénomène qui a sauvé l’Allemagne et qui la sauve encore aujourd’hui.

» Toujours est-il que notre ami se mit à songer sérieusement à ce curieux miracle, dont pas une nation moderne ne lui offrait l’analogie, à toute cette turbulence et à tout ce sang-froid, et que, de cette pensée-là, longtemps méditée, résulta un drame, un beau drame sérieux, solennel, complet. Mais vous ne sauriez croire quel fut l’étonnement universel quand on apprit que ce rêveur, ce vagabond charmant, cet amoureux sans fin et sans cesse, écrivait quoi ? Un drame ! — Lui, un drame, un drame où l’on parle tout haut, un drame tout rempli de trahisons, de sang, de vengeances, de révoltes ? Allons donc, vous êtes dans une grave erreur, mon pauvre homme ! Moi qui vous parle, pas plus tard qu’hier, j’ai rencontré Gérard dans la forêt de Saint-Germain, à cheval sur un âne qui allait au pas. Il ne songeait guère à arranger des coups de théâtre, je vous jure ; il regardait tout à la fois le soleil qui se couchait et la lune qui se levait, et il disait à celui-là : « Bonjour, monsieur ! » à celle-là : « Bonne nuit, madame ! » Pendant ce temps, l’âne heureux broutait le cytise en fleurs.

» Et, comme il avait dit, il devait faire. Tout en souriant à son aise, tout en vagabondant selon sa coutume, et sans quitter