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lorely.

quand il se retourne vers la France ; car les rocs dentelés du clocher de Strasbourg, comme dit Victor Hugo, n’ont pas un instant quitté l’horizon. Seulement, les jambes du voyageur frémissent quand il songe qu’il a bien une lieue à faire en ligne horizontale, mais que, du pied de l’église, il aura presque une lieue encore en ligne perpendiculaire. À l’aspect d’un clocher pareil, on peut dire que Strasbourg est une ville plus haute que large ; en revanche, ce clocher est le seul qui s’élance de l’uniforme dentelure des toits ; nul autre édifice n’ose même monter plus haut que le premier étage de la cathédrale, dont le vaisseau, surmonté de son mât sublime, semble flotter paisiblement sur une mer peu agitée.

En rentrant dans la ville, on traverse la citadelle aux portes sculptées, où luit encore le soleil de Louis XIV, nec pluribus impar. La place contient un village complet, à moitié militaire, à moitié civil. Dans Strasbourg, après avoir passé la seconde porte, on suit longtemps les grilles de l’arsenal, qui déploie une ostentation de canons vraiment formidable pour l’étranger qui entre en France. Il y a là peut-être six cents pièces de toutes dimensions, écurées comme des chaudrons, et des amas de boulets à paver toute la ville. Mais hâtons-nous vers la cathédrale, car le jour commence à baisser.

Je fais ici une tournée de flâneur et non des descriptions régulières. Pardonnez-moi de rendre compte de Strasbourg comme d’un vaudeville. Je n’ai ici nulle mission artistique ou littéraire, je n’inspecte pas les monuments, je n’étudie aucun système pénitentiaire, je ne me livre à aucune considération d’histoire ni de statistique, et je regrette seulement de n’être pas arrivé à Strasbourg dans la saison du jambon, de la sauercraut et du foie gras. Quant à la bière de Strasbourg, elle est jugée partout ; où l’eau est mauvaise, la bière est mauvaise, et l’eau de Strasbourg n’est bonne qu’à faire débiter son vin. Je me refuse donc à toute description de la cathédrale : chacun en connaît les gravures, et, quant à moi, jamais un monument dont j’ai vu la gravure ne me surprend à voir ; mais ce que la