Page:Nettement - Histoire de la littérature française sous la restauration 1814-1830, tome 1.djvu/156

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son pour les proscrire, mais pour les régler, jettent fréquemment les meilleurs esprits dans une espèce d’ivresse qui rappelle l’état de nos premiers parents, lorsqu’ils eurent mangé le fruit de cet arbre de la science du bien et du mal qui leur avait été interdit. L’orgueil de la pensée, qui est le plus dangereux de tous les orgueils, s’attaque aux plus hautes intelligences ; la soif de tout comprendre et de tout expliquer amène les hommes à vouloir tout ramener au système qu’ils ont imaginé, pour se rendre raison de toute chose, trop heureux encore quand, leur cœur demeurant innocent des erreurs de leur esprit, ils restent soumis à la religion, cette loi des lois, même au prix d’une inconséquence philosophique. Ce fut, on le sait, la destinée de Descartes, auquel M. Royer-Collard remonte, avec tant de raison, comme au premier anneau de cette chaîne philosophique qui vient aboutir à Condillac. Descartes, cette grande et audacieuse intelligence, avait fait une chose téméraire et dont les conséquences devaient aller plus loin que toutes ses prévisions, d’abord en philosophie, et plus tard en politique. Il avait entrepris de démolir tout l’édifice de nos connaissances et de le reconstruire par la seule force de sa pensée et sur sa seule pensée « Je pense ; donc j’existe. » D’où l’on pouvait conclure deux choses : la première c’est que, jusqu’à Descartes, l’humanité avait admis, sans motif suffisant, les vérités les plus essentielles, ce qui mettait en suspicion devant lui-même l’esprit humain, accusé d’avoir été si