Page:Nettement - Histoire de la littérature française sous la restauration 1814-1830, tome 1.djvu/239

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comme une image de sa vie passée, grondait avec ses tempêtes autour du piédestal sur lequel le géant posait, ajoutaient tant de prestiges à cette apparition, qu’une réaction devait se faire peu à peu dans les esprits. De même qu’à la fin de l’empire les souffrances intolérables que l’on endurait avaient rendu la France insensible à la gloire de Napoléon, et que, dans les premiers jours de la restauration, les écrivains et les lecteurs devaient lui refuser jusqu’à la justice, à mesure que le sentiment des souffrances s’éteignit, le souvenir des inconvénients de l’empire allait en s’effaçant, et la France, ce piédestal vivant qui avait plié sous le poids de la statue, pouvait, à l’aide du mirage qui se faisait dans les esprits à la voix des poëtes, être amenée à ne plus voir que l’élévation et l’éclat de la figure monumentale que l’histoire cédait à l’ode, au dithyrambe, à la méditation, à la chanson guerrière, au drame, au panégyrique, à l’épopée. Les écrivains devaient trouver une facile connivence chez le public. La France se mirant dans cette gloire dont elle avait payé les frais avec le plus pur de son sang, et qui au fond était la sienne, se plaisait à cette transfiguration de Bonaparte réel dans un Napoléon idéal, dont les fautes, les torts, les faiblesses, les petitesses (car toutes les grandeurs humaines sont courtes par quelque endroit, comme parle Bossuet), disparaissaient dans l’auréole poétique dont il était environné, et dans ce lointain du temps et de l’espace qui ne laisse voir que les proportions du monument. Cette disposition des esprits pouvait avoir de