Page:Nettement - Histoire de la littérature française sous la restauration 1814-1830, tome 1.djvu/44

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tour par le triomphe même de la révolution, car ils s’entre-dévorent en s’en disputant la conduite, et jamais un pouvoir régulier et légitime n’aurait frappé les révolutionnaires aussi cruellement qu’ils se frappent eux-mêmes, en tournant les uns contre les autres leurs mains sanglantes.

C’est ainsi que Joseph de Maistre semble entrer dans les conseils de la Providence pour scruter les causes des effets qu’il aperçoit, expliquer le présent avec le passé, et jeter quelquefois un regard pénétrant jusque dans les profondeurs de l’avenir. Il a dans la physionomie quelque chose du hiérophante inspiré. Sa parole est magistrale comme son génie. Il a de subites intuitions qui s’expriment d’un jet en sentences sibyllines, et qui éclairent tout à coup les questions et les situations à des profondeurs infinies, comme un flambeau penché sur les ténèbres ; sa phrase est alors soudaine comme son regard, et elle grave ce qu’elle écrit. Par un admirable ascendant de la raison sur la passion politique, il découvre à la fois ce qu’il y a d’irrésistible, pour un temps, dans le mouvement de la révolution qui mène les hommes plus qu’il n’est mené par eux, et ce qu’il y a de médiocre dans les révolutionnaires. Il ne fallait point avoir une fermeté ordinaire d’esprit pour estimer si bas, dès 1796, des hommes qui avaient accompli des bouleversements aussi redoutables. Le comte de Maistre ne s’y trompe pas, et Robespierre ne lui impose pas du haut de tant d’échafauds. Il voit et il dit ouverte-