Page:Nettement - Histoire de la littérature française sous la restauration 1814-1830, tome 1.djvu/58

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se faisait aumônière envers la misère de ses compatriotes captifs. Un jour qu’il avait rencontré un Aveyronnais parmi eux, il s’oublia si longtemps dans les rangs de cette colonne en marche, que le caporal autrichien, le prenant pour un de ses prisonniers, ne voulait plus le laisser partir ; car les réponses de M. de Bonald, qui savait mieux le patois de Rouergue que l’allemand, lui paraissaient suspectes. Il fallut l’intervention d’un officier pour l’empêcher d’aller jusqu’en Bohême. « Quel air martial ont ces petits hommes, » dit M. de Bonald à ses enfants, après leur avoir raconté son aventure ; « avec eux, on ferait la conquête de l’Europe ! » M. de Bonald, comme M. de Chateaubriand, comme M. de Maistre, avait gardé un culte pour la France sur la terre étrangère. Il aimait sa patrie à travers la révolution. Quelques exemplaires seulement de la Théorie du pouvoir imprimée à Constance, où M. de Bonald s’était rendu avec ses enfants, avaient pu arriver à leur destination dans notre pays ; le reste de l’édition, envoyé à Paris, fut saisi par la police du directoire. Mais parmi les exemplaires sauvés, se trouvait celui que l’auteur avait cru devoir offrir au général Bonaparte.

Après avoir habité, pendant quelque temps, dans le village d’Egelshoffen, une de ces petites maisons de paysans, entourées d’un verger, qui semblent gracieusement assises, comme de charmantes oasis, autour du lac de Constance, M. de Bonald se décida, au printemps de 1797, à rentrer en France avec ses deux fils, en passant par la Suisse. Quand ils approchèrent de la