Page:Nichault - Anatole.djvu/135

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lettre ou de rencontrer un regard d’Anatole, paraissaient à Valentine une éternité à franchir. Elle essayait en vains d’accélérer les heures, en les consacrant aux occupations qui l’amusaient autrefois ; une distraction vague, une tristesse sans objet, la rendaient incapable d’aucune application. Elle s’étonnait de voir tant de gens s’agiter pour des intérêts médiocres, quand les plus importants n’excitaient que son indifférence ; enfin, son âme était livrée à cette morne langueur qui succède aux agitations de l’amour, et qui les fait regretter. Dans cet état pénible, on voit souvent la femme la plus sage désirer d’en sortir, même au prix d’un malheur ; et l’on peut mettre les fautes qui en résultent au nombre de celles que le besoin de vivre fait commettre.

Un matin que Valentine ne se trouvait point disposée à recevoir des visites, elle forma le projet de mener Isaure à l’abbaye de Saint-Denis, qu’elle n’avait jamais vue. Isaure crut que c’était pour la récompenser de son application à apprendre l’histoire de France, et elle se promit d’étonner sa tante par son érudition. Alors il se fit dans sa petite tête un bouleversement de noms et de dates que le plus savant n’aurait pu démêler. Comme on ne lui avait pas demandé le secret sur cette visite, elle alla dire à toute la maison combien elle se réjouissait de passer la matinée à voir des tombeaux ; et c’est en sautant de joie, qu’elle monta dans la voiture qui devait la conduire à cet asile de la mort.