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venait la prendre chaque soir pour la mener au spectacle ou à la promenade.

Se parer, s’exposer aux regards de la curiosité malveillante, sourire à des plaisirs fatigants quand elle est dans l’attente d’un événement qui doit lui ravir la seule consolation qui lui reste, voilà le plus cruel supplice qui puisse torturer une femme : et c’était celui de madame d’Egmont.

Sa tante l’avait forcée de l’accompagner ce soir-là à la Comedie italienne. La beauté de madame d’Egmont lui attirait tous les yeux ; mais des mots pleins d’ironie circulaient dans la salle, et elle en devinait trop le motif. On se moquait assez haut des vers un peu hâtifs de M. de Voltaire, qui, sur la foi des talents, de la bravoure et du bonheur de M. de Richelieu, venait de lui adresser l’épitre suivante :

À M. LE DUC DE RICHELIEU
SUR LA CONQUÊTE DE MAHON.


Depuis plus de quarante années
Vous avez été mon héros,
J’ai présagé vos destinées.
Ainsi, quand Achille à Scyros
Paraissait se livrer en proie
Aux jeux, aux amours, au repos,
Il devait un jour sur les flots
Porter la flamme devant Troie.
Ainsi, quand Phryné dans ses bras
Tenait le jeune Alcibiade,
Phryné ne le possédait pas ;
Et son nom fut, dans les combats,
Égal au nom de Miltiade.
Jadis les amants, les époux
Tremblaient en vous voyant paraître
Près des belles ; et près du maître
Vous avez fait plus d’un jaloux.
Enfin, c’est aux héros de l’être.
C’est rarement que dans Paris,
Parmi les festins et les ris,