Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/68

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confiés qu’à son gendre, le comte d’Egmont ; mais celui-ci en avait envoyé plusieurs copies à Paris, à des amis aussi peu discrets que lui ; et les ennemis du maréchal s’en étaient emparés, et riaient à bon droit de ces flatteries prématurées[1]. et le malheur voulait qu’on donnât ce jour-là les Chasseurs et la Laitière.

À ce refrain du vaudeville :

      Ne vendez pas la peau de Tours
      Avant de l’avoir mis par terre.

tous les spectateurs se retournèrent du côté de madame d’Egmont ; et sa confusion fut telle, qu’elle se sentit prête à se trouver mal. La vieille duchesse se repentait vivement de l’avoir exposée à cette sorte d’outrage, dont la prudence dé­fendait de marquer le moindre ressentiment. Elle et sa nièce ne savaient plus quelle contenance faire ; et l’embarras des hommes qui se trouvaient avec elles devenait insupportable, lorsque la porte de la loge s’ouvre tout à coup, un valet de chambre, dont le visage, les gestes animés expriment une

  1. Ce passage d’une lettre de Voltaire à M. d’Argental prouve ce fait : « C’est une pièce complexe, à ce que je vois, que celle de Port-Mahon. Nous ne touchons pas encore au dénoûment, et bien des gens com­mencent à siffler. Ma petite lettre envoyée par M. d’Egmont à ma­dame d’Egmont a donné assez beau jeu aux rieurs ; on en a supprimé la prose, et on n’a fait courir que les vers, qui ont un peu l’air de ven­dre la peau de l’ours avant qu’on l’ait mis par terre. Si M. de Richelieu ne prend pas ce maudit rocher, il retrouvera à Versailles et à Paris beaucoup plus d’ennemis qu’il n’y en a dans le fort Saint-Philippe. Il faut pour mon honneur, et pour le sien surtout, qu’il prenne inces­samment la ville. Il se trouverait, en cas de malheur, que mes compli­ments n’auraient été qu’un ridicule. Je vous prie bien de dire, mon cher ange, que je n’ai pas eu celui de répandre des éloges prématurés. Si M. d’Egmont avait été un grand politique, il ne les aurait fait courir qu’à la veille de prendre la garnison prisonnière. » (Correspondance de Voltaire, tom. ixxn, page 342.)