Page:Nichault - La Duchesse de Chateauroux.djvu/103

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En prenant la branche de magnolia, madame de la Tournelle sentit que la main du roi tremblait.

Après avoir traversé l’une de ces longues galeries embaumées, ils arrivèrent dans la vaste orangerie, où Ton avait dressé un théâtre représentant un bois d’orangers. Des bancs rustiques en apparence, des ornements champêtres, des guirlandes de houx vertes et rouges décoraient seules la salle. Dès que le roi y entra, la plus douce mélodie se lit entendre : c’était un des chœurs de ce bel opéra d’Armide, déjà le chef-d’œuvre de Lulli, avant de devenir celui de Gluck. Des voix, qui semblaient venir du ciel, soupiraient ces paroles amoureuses :

Jamais dans ces beaux lieux notre attente n’est vaine :
Le bien que nous cherchons s’y vient offrir à nous, etc.

En écoutant ce chœur admirablement exécuté, le roi porta sur madame de la Tournelle un regard qui semblait dire : Serait-il vrai ?… Ce regard, trop bien compris par elle, lui lit baisser les yeux.

Le chœur fut suivi d’un acte de l’opéra ayant pour titre les Indes galantes, où devait paraître Jéliotte, Chasse, mesdemoiselles Fel, le Maure et mademoiselle Clairon[1], qui obtint ce jour-là même la permission de débuter à la Comédie française. À l’intermède chanté par tous les premiers sujets de l’Opéra, on joignit un ballet allégorique où l’arrivée imprévue d’un châtelain adoré mettait tout le village en joie ; où le bailli, personnage ordinairement sacrifié, qu’une vieille mère veut toujours faire épouser à sa jeune fille, malgré l’amour de celle-ci pour un berger couvert de rubans roses, est toujours dupe de la ruse de deux amants. et gourmande par le seigneur adoré qui le contraint à danser un pas burlesque à la noce de sou rival. C’était là le sublime du genre avant que la comédie, la tragédie, le drame et le roman se fussent emparés des ballets de l’Opéra.

On conçoit que ces innocentes pantomimes, n’ayant pas besoin de changements de décorations, ni de grands dé-

  1. Mademoiselle Clairon avait débuté â l’Opéra dans le rôle d’Hésione en 1742 ; elle passa l’année suivante à la Comédie française et débuta par le rôle de Phèdre.