qui mettaient tous les gens de la maison du roi dans le plus grand embarras. Ils n’avaient point prévu que Sa Majesté resterait si longtemps à Plaisance. Rien n’était préparé pour son coucher à Vincennes, et Bon temps fut obligé d’avoir recours à M. Duverney pour se procurer plusieurs objets. On porta de Plaisance un nécessaire d’argent pour la toilette du roi.
Un peu avant de se lever de table, le roi demanda à madame de la Tournelle le nom de deux hommes qui causaient à l’écart, sans trop s’inquiéter du banquet royal.
— Ce sont, répondit-elle, deux amis de M. Duverney : l’un a refusé une ambassade pour vivre à la campagne, l’autre est presque pauvre, et cela pour avoir mis toute sa vie sa fortune à la disposition de ses amis. Tous deux ont souvent intéressé et amusé Votre Majesté parleurs ouvrages. Le vieux est M. Destouches ; l’autre, M. Marivaux.
— L’auteur du Legs, de la Surprise de l’Amour ; cet homme-là peint la gaucherie d’un homme amoureux d’une manière désolante, dit le roi ; mais n’importe, il a bien de l’esprit, et je suis charmé d’avoir occasion de le remercier du plaisir que m’ont fait ses comédies. Quant à Destouches, je ne me pardonne pas de ne l’avoir point reconnu ; j’étais bien jeune quand mon oncle me l’a présenté après avoir vu jouer son Glorieux, par Dufresne, au château ; mais il est de ces gens dont on garde un long souvenir.
Alors le roi, témoignant à M. Duverney le désir de parler à Destouches et à Marivaux, ils furent amenés vers lui, et il leur adressa les compliments les plus flatteurs.
— C’est grand dommage, dit M. Duverney, que mon ami Voltaire soit en ce moment à Bruxelles, il était digne de partager avec ces messieurs une si honorable récompense.
— Je le regrette aussi, dit le roi, nous lui aurions fait réciter son quatrain qui finit ainsi, je crois :
Vous qui fîtes le Glorieux
Il ne tiendrait qu’à vous de l’être.
On devine l’effet de cette flatteuse citation ; ce sont de ces coquetteries ingénieuses avec lesquelles un roi spirituel peut payer bien des talents, bien des services. On aime tant la bonne grâce en France ! Louis XV avait le cœur rempli