Page:Nichault - La Duchesse de Chateauroux.djvu/133

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— C’est bien ; n’oublie rien de ce que je t’ai dit : et fais que les réverbères du corridor de l’aile gauche soient éteints de bonne heure.

Avant de passer chez la reine, Louis XV donna audience à M. de Maurepas ; le ministre venait, de la part du cardinal de Fleury, prévenir le roi qu’étant gravement indisposé, Son Éminence ne pourrait assister le lendemain au conseil.

— Je suis doublement affligé de le savoir souffrant, dit le roi ; car j’avais à lui parler de plusieurs de ses amis dont la conduire et les discours sont d’une inconvenance intolérable. Ces messieurs et ces dames imaginent que ma condescendance pour les avis de l’homme qui m’a élevé, mon respect pour son âge, ma reconnaissance pour ses soins, m’empêcheront de punir l’insolence des gens qu’il protége, ils se trompent, je vous en avertis.

Cet avertissement, dont M. de Maurepas pouvait prendre sa part, fut donné d’un ton impérieux, qui lui fit une vive impression ; il pensa pour la première fois que le roi, importuné de l’opposition sourde qu’il trouvait dans la cour dévote du vieux cardinal, et de la dépendance où son gouverneur ministre le tenait, pourrait bien secouer le joug et régner par lui-même.

Quelle découverte menaçante ! et qui pouvait-on accuser de réveiller ainsi dans l’âme du roi des sentiments si longtemps assoupis, si ce n’était madame de la Tournelle ?

Que faire pour combattre son pouvoir naissant ? Une chanson : c’était l’arme du temps. La massue du moyen âge, le poignard des Médicis, le poison destructeur de la famille de Louis XIV ; tous ces instruments de meurtre étaient alors remplacés par les rimes licencieuses d’une chanson flétrissante. C’est à coups de refrain qu’on faisait tomber un ministre, qu’on déshonorait une femme, qu’on désespérait une famille, qu’on forçait deux amis à se couper la gorge ; enfin, le refrain satirique, vrai fléau du siècle, ne respectait ni rang, ni crédit, ni gloire, ni vertu ; il attaquait jusqu’à Dieu même !

La chanson, composée aussitôt que projetée, on la devait faire parvenir au roi par l’entremise du cardinal de Fleury, comme pour éclairer Sa Majesté sur l’effet que produisait dans le peuple ses nouvelles amours.

L’opinion, ce juge sévère, ce guide des rois forts, cet