Page:Nichault - La Duchesse de Chateauroux.djvu/135

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par de petites mitaines de tricot, dont la couleur noire fait ressortir la blancheur de sa peau, le sein demi-caché sous les plis transparents d’un réseau de filet, une femme est là, seule, immobile, anéantie à force de penser. Les heures s’écoulent sans qu’elle les entende sonner, et pourtant il en est une qu’elle attend, qu’elle redoute. Mais l’excès de sa préoccupation est tel, qu’elle oublie jusqu’à la cause de cette préoccupation même. Ce n’est plus dans le présent qu’elle vit, c’est l’avenir qui se déroule à ses yeux, un avenir de douleur, d’amour, de gloire et de deuil.

Après avoir excité tout le merveilleux des sentiments exaltés, ces rêves d’amour platonique, cet orgueilleux espoir de rester pure au milieu de la corruption, de braver la calomnie, le mépris, en immolant tout, excepté l’honneur, à son royal amant ; enfin, après s’être enivrée des parfums de l’idéal, madame de la Tournelle venait de redescendre au positif de sa situation ; malgré sa confiance dans la parole du roi, dans ses propres forces, dans la protection que le Ciel devait accorder aux résolutions vertueuses, elle frémissait à l’idée de se trouver seule, en secret, et à cette heure, non pas avec le roi, mais avec l’homme qu’elle aimait.

Accablée sous le poids de tant de réflexions menaçantes, madame de la Tournelle oublie que cette entrevue, cause de tant de troubles, le moindre incident peut la rendre impossible ou très-compromettante. Ne pensant point à se soustraire aux visites que quelques-unes de ses amies, inquiètes de ne l’avoir pas vue, viendraient peut-être lui faire en sortant du jeu de la reine, elle n’avait point fait défendre sa porte ; et elle sortit brusquement de sa rêverie en entendant annoncer la comtesse d’Egmont, la duchesse de Chevreuse, le comte de Coigny et le chevalier de Grille.

Il faut s’être trouvé dans l’horrible nécessité de remplir un devoir de politesse, de parler, de sourire aux indifférents lorsqu’on a le cœur palpitant d’une émotion secrète, pour se faire une idée de ce qu’éprouva madame de la Tournelle, lorsque toutes ces voix bruyantes et joyeuses frappèrent son oreille. Ramenée subitement aux frivolités du monde, elle crut un instant que cet entretien promis au roi, cette démarche dont les conséquences la faisaient frémir, n’étaient qu’une illusion, que le rêve d’une imagination en délire.