Page:Nichault - La Duchesse de Chateauroux.djvu/142

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

— Ah ! gardez-vous de cet affreux sentiment.

— Ils ne savent pas qu’en vous calomniant ils m’insultent dans l’objet de mon respect, dans ce que j’ai de plus cher au monde, et que votre intérêt seul peut suspendre l’ordre près de les frapper.

— Par grâce, épargnez-les, Sire ; peu m’importe leur haine aujourd’hui. Je n’ai rien fait pour me l’attirer ; mais si demain je la méritais par l’effet de votre colère, je sens que cette haine me serait insupportable.

— Maurepas m’a répété ce que lui a dit Flavacourt ; j’en suis indigné, et je viens de lui envoyer l’ordre de rejoindre dès demain l’armée. Je ne veux pas que vous soyez exposée à le rencontrer.

— C’est une injustice, Sire ; M. de Flavacourt est un de vos meilleurs officiers, et son fanatisme pour l’honneur doit trouver grâce près de vous.

— Insulter une femme ! la dénoncer au monde avant qu’elle soit seulement soupçonnée ! Est-ce là ce que vous appelez de l’honneur ?

— Songez, Sire, que déjà deux sœurs de sa femme…

— Eh ! que fait à son honneur la vieille amitié de madame de Mailly pour moi ! Ce sentiment n’est-il pas plus honorable que blâmable ? et la mort, en frappant madame de Vintimille, n’a-t-elle pas assouvi la rage de ses ennemis ? Tout ce bruit serait à peine excusable si je pensais à madame de Flavacourt ; mais sa froide beauté, son esprit sérieux, ne m’ont jamais inspiré le moindre désir de lui plaire. Je l’honore, je la plains d’avoir pour mari un tel homme : voilà tout.

— Hélas ! n’a-t-il donc pas raison de vous craindre, Sire ? et n’a-t-il pas le droit de croire à ma faiblesse, en voyant la fatalité qui semble faire de notre famille la proie de vos amours ? dit madame de la Tournelle avec véhémence. Ne sait-il pas tout ce qu’un tel hommage a de dangereux ? qu’il fascine les yeux, qu’il enivre le cœur ; que la religion, la vertu, seraient sans secours contre vous si ce n’était risquer de perdre votre estime et votre amour peut-être, que de s’y livrer ? M. de Flavacourt est-il donc coupable de ne pas croire à ce que tant de gens jugent impossible ? Peut-il s’imaginer qu’il soit une femme au monde qui vous aime sans crime : dont le dévouement vous sacrifie