Page:Nichault - La Duchesse de Chateauroux.djvu/150

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et le silence respectueux dont n’osaient pas sortir les habitués du salon de madame de Mailly, ne pouvaient lui donner l’idée d’une conversation animée, intéressante et de bon goût. Pour imprimer à cette conversation un cachet d’indépendance, madame de la Tournelle se mit tout à coup à contrarier le roi à propos du jugement qu’il portait sur la Mérope de Voltaire. Tout en faisant l’éloge de cet ouvrage, Louis XV regrettait que les plus belles tirades de chaque rôle fussent mêlées de sentences philosophiques qui refroidissaient l’action et montraient si bien l’auteur, qu’on ne voyait plus que lui dans la pièce.

dette critique fondée, quoiqu’un peu intéressée dans la bouche du roi, fut vivement combattue par madame de la Tournelle.

— Vous aimez donc bien M. de Voltaire ? dit-il.

— Il a tant de talents et tant d’ennemis !

— Voilà deux raisons excellentes ; mais, ajouta le roi en se penchant vers l’oreille de madame de la Tournelle, il me semblait vous avoir entendu dire à Destouches, l’autre jour, à peu de chose près ce que je pense sur les tragédies de Voltaire.

— Sans doute, c’est mon avis.

— Eh bien, pourquoi en changer aujourd’hui ?

— Pour prouver à tout ce qui est ici qu’on peut en exprimer un différent du vôtre sans déplaire à Votre Majesté, et qu’elle a trop d’esprit pour m ? pas apprécier tout ce que la conversation gagne à ce choc des idées d’où jaillit toujours quelques étincelles.

— Je vous remercie de l’explication, reprit Louis XV en souriant, car ce changement subit dans votre manière de penser m’avait, je vous l’avoue, causé beaucoup d’effroi.

Pendant ce temps, madame de Chevreuse s’était levée pour aller découvrir la cage où la perruche réveillée en sursaut criait : Aimez le roi.

— Voyez comme elle vient à moi, dit la duchesse, je suis sûre qu’elle me connaît déjà ; vrai, ma chère belle, vous qui avez d’autres sujets d’occupation vous devriez bien me céder celui-là.

— J’en suis désolée, répondit madame de la Tournelle ; mais c’est me demander un sacrifice impossible ; j’aime Lisette comme une amie, nous causons, nous déjeunons, nous