Page:Nichault - La Duchesse de Chateauroux.djvu/151

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nous promenons ensemble ; enfin c’est mon ridicule, ma passion, et vous savez si l’on peut vivre sans ces choses-là.

Le roi, dans le ravissement de ce qu’il entendait, garda le silence ; ses regards seuls remercièrent madame de la Tournelle.

— J’en demande pardon à Votre Majesté, dit madame de Chevreuse, mais je la trouve un peu froide pour cette merveille.

— C’est que je suis embarrassé de dire tout ce que j’en pense. C’est presqu’un flatteur, et vous savez qu’on nous fait un crime de les aimer.

— Hélas oui ! c’est encore un travers de nos vieux moralistes : ces gens-là ne connaissent rien an cœur humain ; ils ignorent que, supposer aux gens les qualités qui leur manquent, c’est leur donner l’envie de les acquérir, et qu’en leur disant tout crûment leurs défauts, on ne gagne qu’une chose, c’est qu’ils ne prennent plus la peine de les cacher.

— Parler de la flatterie devant un souverain, dit madame de Mirepoix, je ne crois pas que cela soit jamais arrivé.

— Eh mais ! c’est la plus grande de toutes, si je ne me trompe, dit le roi. Je vous en remercie, car celle-là est sans risque. Ce n’est pas que les flatteurs modernes soient à beaucoup près aussi dangereux que les Narcisse de l’antiquité, de ces temps où la vérité ne trouvait point d’interprète ; mais, depuis que le christianisme a éclairé le monde, depuis que le plus humble des ministres de Dieu peut dire aux rois la vérité en face et publiquement, la flatterie est sans puissance. Croyez qu’elle ne trompe que ceux qui veulent bien s’en laisser abuser, et qu’à moins d’être beaucoup plus sot que son flatteur, on voit d’abord l’intérêt qui le guide, et que, ce premier point découvert, il faut bien se contenir pour supporter patiemment l’injure de ces éloges.

— Pour moi, je ne vois pas ce qu’il y a de si courageux à dire des vérités, même des plus sévères aux rois qui en sont dignes, dit madame de la Tournelle ; Sully ne les épargnait pas à son maître, et il est resté son ami. Louis XIV a entendu tonner la vérité du haut de la chaire, sans punir Bossuet ni Massillon ; la faible Agnès Sorel elle-même a été récompensée par la gloire de Charles VII, du conseil et des reproches audacieux que son amour avait osé lui faire.