Page:Nichault - La Duchesse de Chateauroux.djvu/159

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

le maréchal de Belle-Isle, entravé par l’économie sordide du cardinal de Fleury, qui, après avoir approuvé son plan de campagne, lui avait refusé les hommes et l’argent nécessaires pour l’exécuter, se trouvait enfermé dans Prague, bloqué par les troupes de Marie-Thérèse, et exposé, presque sans vivres, à toutes les calamités d’un siège que la rigueur de la saison rendait encore plus menaçantes.

Il n’était personne qui n’eût des parents ou des amis à l’armée, et l’on se demandait, avant même de se saluer, si quelque courrier n’était point arrivé, ou bien quelle figure faisait le roi après avoir lu les dépêches. Mais il ne circulait que des bruits alarmants, et le roi était depuis quelque temps d’une tristesse remarquable.

— Je vous apporte de bonnes nouvelles, dit-il en entrant chez la reine, la voix émue et la joie dans les yeux. Notre armée est sauvée… grâce au maréchal de Belle-Isle, ajouta-t-il en se tournant vers madame de la Tournelle ; oui, le maréchal de Belle-Isle a fait un miracle[1]. La défection du roi de Prusse, l’éloignement de l’armée de Maillebois, nous avaient engagé à donner au maréchal la permission de sortir de Prague ; mais cet ordre venu un peu tard n’était pas facile à exécuter ; l’armée ennemie, renforcée par un corps de troupes considérable amené par le prince Lobkovitz, rendait la retraite presque impossible ; en effet, comment oser traverser, dans cette saison, trente-huit lieues de campagnes dévastées, sans provisions, sans magasins, environnés d’une armée, continuellement harcelés par des nuées de troupes légères ? eh bien, le maréchal ne s’est point effrayé de tant d’obstacles. Couvrant son projet d’un secret impénétrable, il a pourvu à tout, après avoir ordonné les préparatifs sous un autre prétexte, il a trompé le prince de Lobkovitz, les bourgeois de la ville, les espions ennemis et même les siens ; il est sorti la nuit avec toute son infanterie et près de quatre mille chevaux ; il a amené avec lui les otages les plus distingués de la ville, trente pièces de canon et les vivres nécessaires pour douze jours ; il a traversé ainsi des plaines couvertes de neiges ; ayant à combattre le froid, les hussards, les croates,

  1. Vie privée de Louis XV, tome II. — Voltaire, Histoire de la guerre de 1731.