Page:Nichault - La Duchesse de Chateauroux.djvu/160

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les pantours ; enfin pour vous donner une idée de la rigueur du temps que nos pauvres soldats ont eu à braver, un des otages est mort de froid dans la voiture du maréchal[1].

Alors plusieurs exclamations se firent entendre ; mais chacun, captivé par le récit du roi, garda de nouveau le silence d’une vive attention.

— Le général, quoique malade, continua le roi, et ne pouvant monter à cheval, n’a point abandonné son armée ; empêchant qu’elle ne fût entamée, se faisant porter sur tous les points où sa présence était nécessaire, il a su soustraire nos troupes à la vigilance, à la cruauté de ces hordes sauvages ; enfin, en évitant les défilés où les troupes régulières l’attendaient, il est arrivé à Égra, sans aucun échec. Une si belle retraite, messieurs, est comparée par les gens du métier à celle des dix mille, avec cette différence que l’ancienne, racontée par le chef, est susceptible d’inspirer quelque doute, au lieu que celle-ci, passée sous nos yeux, attestée par ceux qui en étaient, vantée par des rivaux de gloire, mérite toute notre admiration.

— Et M. de Chevert, qu’est-il devenu ? demanda la reine avec inquiétude.

  1. Voici comment le maréchal de Belle-Isle rend compte de cette retraite, dans une de ses lettres au général bavarois Jeckendorf. (Histoire de France de Lacretelle, 18e siècle, t. II, page 251. « J’ai dérobé vingt-quatre heures pleines au prince de Lobkovitz qui n’était qu’à cinq lieues de moi ; j’ai percé ses quartiers et j’ai traversé dix lieux de plaine, ayant à traîner mes haras avec onze mille hommes de pied et trois mille deux cent cinquante chevaux délabrés ; M. de Lobkovitz ayant huit bons mille chevaux et douze mille hommes l’infanterie, j’ai fait une telle diligence, que je suis arrivé au défilé avant qu’il ait pu m’atteindre… Je lui ai caché le chemin que j’avais résolu de prendre, car il avait fait couper tous les défilés et rompre tous les ponts qui se trouvent sur les deux grands chemins qui conduisent de Prague à Égra… j’en ai pris un qui perce entre les deux autres, où je n’ai trouvé que les obstacles de la nature, et je suis enfin arrivé le deuxième jour, sans échec quoique continuellement harcelé de hussards en tête, en queue, et sur mes flancs. »
    Dans sa relation de cette retraite qui fut longtemps, dit Lacretelle comparée à celle des dix mille, le maréchal de Belle-Isle avoue avoir perdu sept ou huit cents hommes dans les neiges et en avoir fait porter plus de cinq cents à l’hôpital.