Page:Nichault - La Duchesse de Chateauroux.djvu/199

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— À quoi pense donc le roi ? demanda la duchesse à madame de la Tonnelle, on le croirait endormi ?

— C’est peut-être qu’il rêve, répondit la marquise.

— D’où lui vient cet air absorbé ? il était si gai au dîner ; en vérité, je suis très-fachée de l’avoir vu ici ; à Versailles j’en ai peur, l’idée du maître m’empêche de penser à l’homme aimable : c’est un être à part qui ne m’inspire que du respect et de la gène. Ici je ne le trouve pas moins redoutable ; mais c’est d’une autre manière.

Tout cela fut dit avec le ton mystérieux d’une confidence ; mais assez haut pour être entendu de celui qu’elle flattait.

Madame de la Tournelle porta ses yeux sur Louis XV pour voir l’effet que produisait sur lui un aveu direct ; il continuait sa rêverie : mais l’espèce de magnétisme qui tient au regard qu’on redoute, ou qu’on aime, le tira tout à coup de sa rêverie.

— Vous me parliez ? demanda-t-il à madame de la Tournelle comme s’arrachant à un songe.

— Non, Sire, c’est madame de Chevreuse qui vous disait…

— Moi ! interrompre Votre Majesté an milieu d’une telle préoccupation, dit la duchesse ; je me serais bien gardée d’être indiscrète vraiment, et je ne sais pourquoi madame me prête ce tort, car c’est à elle que je parlais…

— Pardon, madame la duchesse, dit le roi, c’est qu’en effet j’avais l’esprit troublé ; mais voilà l’homme surprenant, il réclame toute notre attention.

Puis il ajouta (oui bas penché vers madame de la Tournelle et d’un ton affectueux :

— Vous souffrez moins, j’espère ?

— Presque plus, Sire.

Après trois grands saluts, l’escamoteur s’établit à sa table couverte d’un drap d’or et de trois énormes gobelets, les muscades obligées parurent el disparurent à son commandemant, puis vinrent les tours de cartes plus étonnants les uns que les autres.

— Nous allons avoir l’honneur de vous offrir du nonveau, messeigneurs et dames, dit l’escamoteur ; si l’un devons daignait me confier sa montre, et l’une de ces dames une bague, |e feur montrerais ce que peut la puissance du grand magicien.