Page:Nichault - La Duchesse de Chateauroux.djvu/217

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Avant que le jeu commençât, le comte d’Argenson, M. Amelot el M. Orry s’approchèrent de madame de la Tournelle, sous prétexte de lui parler du cardinal de Fleury ; mais dans la seule intention de causer avec elle des changements que cette mort prochaine devait amener dans la composition du cabinet : de lui insinuer les admissions à faire dans l’intérêt de l’État, et pour s’assurer de la conservation particulière de leur portefeuille.

Elle leur répondit avec confiance et dignité, sans nier, sans l’aire valoir le crédit que rattachement du roi pouvait lui assurer, que le moment était arrivé de donnera l’État et au prince toutes les preuves d’un dévouement éclairé ; qu’il ne s’agissait plus de continuel’le système du vieux cardinal en maintenant le roi dans l’ignorance des affaires ; mais bien (remployer ses hautes qualités et la justesse de son esprit à leur donner une nouvelle direction. En l’écoutant, ces messieurs se convainquirent de la nécessité de suivre cet avis, sous peine d’être bientôt remplacés, et ils se vouèrent sans restriction aux nobles projets de madame de la Tournelle.

Il faut l’avouer, lorsqu’elle traitait de ces grands intérêts avec ceux qui pouvaient les servir, lorsqu’elle entrevoyait le degré d’estime et de gloire où son ascendant devait porter le roi, tous ses scrupules disparaissaient, et cette même femme, si honteuse de sa faiblesse, si timide dans son bonheur, retrouvait toute l’audace de la vertu, toute l’autorité du dévouement, pour obliger Louis XV à ressaisir le sceptre.

Lorsque les tables furent dressées, le roi vient prier madame de la Tournelle de jouer pour lui.

— J’ai l’esprit troublé, ajouta-t-il, vous saurez mieux que moi diriger ma fortune, et puis je suis bien aise de savoir jusqu’où elle peut aller, unie à la vôtre.

— Vous me laites trembler ! si j’allais perdre.

— Le proverbe serait là pour nous consoler, dit le roi en plaisantant ; et il s’assit un peu en arrière de madame de la Tournelle, le bras appuyé sur le dossier de son fauteuil.

— Votre Majesté me conseillera ? dit-elle.

— J’en aurai l’air, si vous l’exigez, mais, vrai, je pense à tout autre chose.